Impressionnante est la montée en puissance de ce groupe lillois, de leur victoire au tremplin « Wacken Metal Battle France » en 2017, leur permettant ainsi de se produire au célèbre festival allemand, à l’annonce de leur concert en première partie de DEEP PURPLE cette année. Entre les deux, nous avons pu nous réjouir de la sortie en mars de l’album « Soma Sema » où l’expertise de nos artistes fait mouche à chaque seconde, et, bien sûr, leur apparition à l’édition 2022 du Hellfest. C’est d’ailleurs à cette occasion que nous avons pu nous entretenir avec Max (guitare), Nicolas (chant) et Eliott (batterie), quelques heures après le passage de STENGAH en Mainstage le dimanche, à 10h30 du matin !
Comment vous êtes-vous préparé au Hellfest ?
Nicolas – Y-a-t-il vraiment une préparation au Hellfest dans la mesure où la scène est énorme ? On arrive, on profite, on ne sait pas ce qui se passe… Mais on ne s’est pas mis de grosse pression.
Eliott – On est arrivés en pensant être prêts, et tout à coup, on ne l’était plus, car on ne pouvait pas anticiper ce qui allait se passer. Même si on avait fait le Wacken quelques années avant, là, c’était multiplié par dix ! C’est incroyable de voir le nombre de gens impliqués dans la préparation d’un tel concert… Les techniciens qui nous voyaient installer et déballer nous-mêmes notre matériel nous grondaient presque !
Nicolas – On se faisait la réflexion avec Benoit, le bassiste : lors des festivals précédents, on avait toujours joué sous des chapiteaux. Là, c’était la première fois qu’on jouait en plein air, qui plus est sur une scène aussi grande.
Au départ, vous étiez prévu pour l’édition 2023…
Nicolas – Oui, un créneau nous a été proposés. Eliott a bien caché l’info jusqu’à l’officialisation. En l’apprenant, on a dû faire la meilleure répét’ de notre vie !
Max – On n’a presque pas eu de réaction, et on s’est mis au travail tout de suite après (Rires)
Eliott – On savait depuis septembre 2021 qu’on allait avoir une proposition pour 2023. Finalement, ça s’est fait plus tôt. Vu l’affiche et l’édition spécial anniversaire, j’étais content ! Il fallait voir la tronche qu’ils ont tirée quand je leur ai fait l’annonce… Ça n’a pas de prix. Durant la répét’ qui a suivi, tout le monde se projetait déjà sur la grande scène, ça a changé un peu la donne. Il y a eu une petite bascule à ce moment-là.
Vous attendiez-vous à autant de monde ce matin ?
Nicolas – C’était la grande question. En plus, on priait pour qu’il ne pleuve pas, même si ça a fait du bien par rapport aux deux journées précédentes… D’autant que le festival a ouvert ses portes plus tôt, et je pense que ça a aidé.
Il y a quelque chose qui s’est créé avec le public, un vrai partage… Résultat : un wall of death à 10h30. (Rires)

L’autre grande surprise cette année est l’annonce de votre concert à Paris en première partie de DEEP PURPLE. Comment cela a-t-il pu être organisé ?
Eliott – Ce n’est pas un hasard si on se retrouve là. Il y a une vraie volonté de la part de Gérard Drouot Productions de nous placer sur des affiches un peu dingues afin d’en tester la portée, car ils se sont rendus compte que STENGAH, ce n’était pas que du metal : on y trouve notamment du jazz qui se ressent encore plus sur scène. Je mentionne souvent dans mes influences KING CRIMSON, GENESIS ou MAGMA.
Nous placer en première partie d’un concert rock prog’ à la DEEP PURPLE, c’est une façon de tester la sensibilité du public. Plus qu’un challenge, c’est réellement une observation qui va découler de ce concert, sans compter que cela risque de marquer un tournant pour nous.
C’est un pari fou, car on va être clairement dix fois trop bourrin pour ce public-là ! Mais cela va mettre en avant les subtilités de notre musique. L’intro sur « Soma Sema » fait d’ailleurs très jazz, et le fait qu’on improvise ensemble en live est très propre à ce style. Selon la manière dont le public va réagir, notre comportement peut complètement varier.
Nicolas – En même temps, c’est intéressant car on a déjà joué dans plein d’endroits différents : je repense au Paradisiac Field en 2018, un festival un peu hippie / electro, où on est quand même parvenus à transmettre quelque chose.
Récemment, je suis tombé sur un live de KING CRIMSON, et j’ai trouvé que la batterie, c’était tout Eliott. On sent vraiment qu’il est porté et bercé par tout ça.
Malgré tout, allez-vous adapter votre setlist au public de DEEP PURPLE ?
Eliott – Oui, et on va faire l’inverse que ce qu’on a fait à l’époque où on avait joué avec BENIGHTED et DECAPITATED en 2019, avec un set hyper bourrin, que ce soit dans le choix des titres, mais aussi dans notre manière de les interpréter. Cette fois, les tempos vont être plus lents, peut-être plus proches de leur version originale, contrairement au Hellfest où on a joué à fond. On va finir sur The Overman, pour lequel on va inviter sur scène un ami saxophoniste, histoire de marquer l’événement et interpeller les gens.

Soma Sema, sorti le 18 mars dernier.
Votre univers est en effet unique. Sur quoi vous êtes-vous rejoints au moment de former STENGAH ?
Nicolas – Eliott vient du jazz, du rock progressif et du metal. On vient tous d’univers différents, on ramène d’ailleurs notre identité éclectique dans les compos’.
Max – Personnellement, je viens d’un univers un peu plus classique. D’ailleurs, avec Eliott et Ben, on s’est rencontrés aux Musiques Actuelles. Comme Eliott compose les guitares avec sa vision de batteur, on est loin d’une vision académique, et j’ai dû parfois désapprendre certaines choses. Aujourd’hui, cela fait réellement partie de mon bagage, et j’ai appris à m’émanciper de mon éducation académique.
Eliott – C’est un peu moi qui fais le lien dans le groupe. Les autres s’adaptent à mes compos’ et mes textes, tout en apportant leur interprétation. Au départ, quand j’ai contacté Ben et Max, je n’étais même pas sûr de créer un groupe de metal ! Il se trouve qu’on avait une manière massive et agressive d’interpréter la musique, et le style musical s’est donc construit par rapport à ce que tout le monde avait envie de faire à ce moment-là.
Avant tout, il y a eu beaucoup de discussions autour des thématiques, mais aussi des débats sur notre manière d’aborder mes maquettes. Les morceaux évoluent énormément de mois en mois. Il y en a qu’on ne joue plus du tout de la même manière par rapport à la version album. Je dirais que ce qui nous réunit, c’est la réécriture.
Max – D’ailleurs, en live, on ne joue pas au clic, on a envie de faire vivre les morceaux, de mettre en avant leur aspect organique et old school.
Eliott – Ils ont tous un répertoire de sons et de timbres qui m’inspirent et avec lesquels je peux m’amuser. Depuis que Nico est dans le groupe, on a vraiment fixé le style. Comme il évolue tout le temps, j’ai accès à un panel de plus en plus large : aujourd’hui, je peux me permettre d’écrire des morceaux entièrement en voix clean, très rock progressif. Il n’avait que 15 ans quand je l’ai rencontré. Je me souviens qu’il chantait In Waves de TRIVIUM, ça m’avait marqué…
Nicolas – J’ai rejoint le groupe à 17 ans, mon spectre vocal n’était pas encore défini. Aujourd’hui, mon chant évolue, et on fait évoluer les compos’ sans cesse, la musique n’est pas figée.
Quelles sont vos influences ?
Eliott – C’est vraiment multiple. On a même des avis assez divergents sur plein de groupes, comme LEPROUS qui fait débat, mais dans le bon sens du terme. En revanche, on s’est très vite rejoints sur SLIPKNOT avec Nico. Il est aussi un grand fan d’AVENGED SEVENFOLD, que je connais très peu, pour ma part.
Les autres connaissent mes références à travers STENGAH. À la base, eux ne sont pas influencés par ces groupes-là, ils n’ont pas forcément le même bagage que moi, ce qui crée une espèce d’identité nouvelle qui les rend autodidactes. Au moment où je leur demande de faire quelque chose d’assez organique et narratif, ils vont devoir créer une manière de faire, ce que je trouve super.
Tu m’as avoué être lassé des comparaisons avec MESHUGGAH…
Eliott – Lors de notre journée promo plus tôt cette année, l’album n’était même pas sorti que la presse nous demandait déjà si on s’en était inspirés, à cause du nom du groupe. Aujourd’hui, maintenant que l’album a été digéré, on ne nous en parle plus ! On a dû faire une vingtaine d’interviews aujourd’hui, et jamais on ne nous a posé la question.
On a passé ce cap, et je suis content car j’avais peur que cela nous colle à la peau et nous fasse perdre du temps. Bien sûr, on est influencés par MESHUGGAH et on y trouve quelques petits emprunts. Mais on ne peut pas nous cataloguer aussi facilement.
Max – Cela serait très réducteur de s’arrêter à ce groupe. On nous a aussi comparés à CULT OF LUNA, MASTODON, BARONESS, des groupes de stoner ou de jazz…
Nico – Une consécration pour Eliott, c’est quand quelqu’un vient le voir à la fin d’un concert pour lui demander s’il n’écoute pas MAGMA !
Le reste du groupe parvient-il à s’identifier aux textes d’Eliott ?
Nicolas – Bien sûr. La force de cet album, c’est que les textes sont sujet à interprétation, même si on y aborde la dissection du cerveau humain, de la personnalité, la dualité du corps et de l’esprit… Pour moi, il s’agit vraiment d’une introspection. Quand j’ai enregistré cet album, j’en ai appris beaucoup sur moi et ce qui m’entourait. Ça m’a aussi servi d’exutoire, et j’ai pu m’approprier les textes d’Eliott.
Max – Certains pensent que « Soma Sema » est un concept-album, mais on ne l’a pas pensé comme ça, même si tout est ficelé.
Quels retours de la presse et des auditeurs ont été les plus surprenants pour vous ?
Max – On nous dit souvent qu’on ne peut pas nous mettre dans une case…
Eliott – Notre musique est de plus en plus écoutée par des journalistes qui ne sont pas ancrés dans la culture metal. On m’a demandé un jour si je vouais un culte à Christian Vander. La personne a visé dans le mille ! Ça m’a fait plaisir qu’il ait entendu ça, sans pour autant qu’on me dise que j’avais fait du copier-coller de MAGMA. On ne l’entend pas au premier abord, mais en creusant un peu, l’influence se ressent. Vander s’identifie souvent comme un réceptacle de la musique. D’ailleurs, il demande toujours à avoir un piano à disposition pour pouvoir composer à tout moment et ne pas perdre une idée. J’aime beaucoup le principe d’être un outil au service de la musique.
Le public est entré dans ce jeu de la multilecture où il se questionne sur le sujet des textes. Depuis que l’album est sorti, les retours nous en apprennent beaucoup sur ce disque.

Détente après une dure journée promotionnelle à l’espace VIP du Hellfest…! Photo : Julien Zannoni
Pour revenir au Hellfest, quel a été votre sentiment juste après votre sortie de scène ?
Nicolas – J’étais tellement content… On a pas encore eu le temps de redescendre !
Max – On s’est dépêchés de manger, puis de filer en interview…
Nicolas – On était comme des gamins en train d’accomplir un rêve. On s’est tous serré dans les bras, et on a versé la petite larme à la fin du concert. Il y avait énormément d’émotion. Je suis passé par toutes les phases.
Max – C’est un peu pour ça qu’on est là. Je fais de la musique depuis que j’ai 10 ans, et c’est ce que je veux faire depuis que j’ai vu mes premiers concerts. Expliquer ça aux parents à 17 ans qui te disent de passer le bac, faire des études, c’est compliqué. Pourtant, 20 ans après, je m’y suis tenu. On nous demande souvent si on a la pression, mais je refuse de me mettre la pression négative pour un truc comme ça.
C’était un peu différent de Wacken où on était un peu plus impressionnés, peut-être moins matures… Ce que je me suis dit avant d’entrer en scène au Hellfest, c’est de ne pas oublier d’en profiter. C’est bien d’être concentré, mais ce n’est pas 10 minutes avant qu’on va apprendre quelque chose en plus, donc il est inutile d’être terrifié. Il faut que cela reste une adrénaline hyper positive. En voyant les groupes sur scène hier, même sous 40°C, je me suis dit « OK, demain, moi je vais être là, je vais faire ça, j’ai hâte de jouer tel ou tel riff… ». Une seule question se pose maintenant : à quand la prochaine ?
Nicolas – Cela nous conforte dans l’idée de faire de la scène. Ce serait incroyable de repartir tout de suite en tournée dès demain ! (Rires) En plus, le crew qui était derrière la scène s’est brisé le cou pendant le concert…
Max – Des groupes qu’on a recroisés par la suite dans les loges nous ont donné de super retours.
Eliott – Toute l’équipe technique nous a applaudis comme des oufs en sortie de scène. Sur le moment, on ne s’est pas posé de question, mais apparemment, ça n’arrive jamais pour un groupe d’ouverture. Certains techniciens ont même fini par acheter le disque !
Plein d’émotions m’ont traversées. Ça peut sonner un peu « cheesy », mais j’ai eu l’impression d’être une nouvelle personne. J’ai eu un moment d’égarement positif. Dans l’album, je parle beaucoup de la recherche de soi, et c’est vrai que d’être sur une telle scène me donne l’impression d’avoir trouvé ma place. C’est une émotion que je ne pensais pas ressentir un jour, surtout après deux ans et demi de latence où tu te demandes s’il ne va pas falloir changer complètement de vie.
Ça fait tellement d’années que je viens au Hellfest, tellement de temps que j’entends ce son qui lui est propre… Je me suis toujours imaginé ma musique avec ce son provenant d’une scène aussi énorme. J’ai senti qu’on avait franchi quelque chose. Maintenant, il est nécessaire de réussir à redescendre pour faire face à la prochaine étape !
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Photo principale réalisée en juin 2022 au Hellfest Open Air Festival par Julien Zannoni pour METAL FRANCE MAGAZINE