C’est en échangeant avec une personne telle que François Gratecap qu’on se voit rappeler la qualité et l’ambition de la scène metal française. Compositeur de titres electro-rock flirtant avec une multitude d’autres styles (classique, metal indus, orchestral, tribal et on en passe), l’artiste crée OGEZOR, un cyber-univers complet et unique en son genre que l’on peut découvrir à travers divers médias, dont des vidéoclips cinématiques, un scénario, des jeux vidéo, des performances sur scène… Et il n’est pas près de se limiter à cela, comme vous pourrez le découvrir dans notre entretien.
En quoi ton parcours t’a mené à la création de ce projet ?
François – Au départ, je suis pianiste jazz. J’ai commencé la musique quand j’étais tout petit. Adolescent, j’ai eu un petit jazz band avant de migrer vers le metal. J’ai joué pendant 10 ans dans un groupe de black metal symphonique en tant que claviériste. C’est aussi à ce moment-là que je me suis mis à la musique assistée par ordinateur (MAO) pour l’intégrer dans ce qu’on faisait, même si, à l’époque, le procédé était loin d’être aussi développé ! Après avoir quitté le groupe, je me suis consacré à la MAO, dans tous les styles. J’ai travaillé sur des courts-métrages, des jeux vidéo, des projets perso… J’ai même fait un peu de pop.
Par la suite, j’ai vraiment eu envie de remonter sur scène, dans la mesure où je maîtrisais bien mieux la MAO. Mon frère et moi sommes fans de science-fiction depuis qu’on est gamins, et je n’avais encore jamais pu l’exploiter dans mes autres projets. C’était donc le moment de le faire.
J’ai eu l’idée de créer un concept, ce qui est devenu OGEZOR (à l’époque « Entropy Zero »). Je souhaitais mêler de manière assez forte l’image et la musique. D’ailleurs, le premier album est presque entièrement instrumental : je souhaitais que le public soit dans l’immersion totale, et qu’il s’agisse d’un voyage personnel. La vidéo joue un rôle prépondérant, et il y a vraiment un scénario sur toutes les chansons. Parfois, les spectateurs ne nous regardent pas du tout, mais ça ne fait rien !
Petit à petit, j’intègre plus de voix et de segments accrocheurs afin d’interagir davantage avec le public, en plus de varier les plaisirs.
Le but initial n’était donc pas de monter un groupe de manière conventionnelle…
Pas du tout. On ne peut pas jouer dans les salles où l’aspect visuel ne pourrait pas être exploité. Ça n’aurait aucun sens de faire un concert sans écran.
Est-ce la raison pour laquelle vous apparaissez souvent dans des conventions de science-fiction ?
Pour tout dire, ça s’est fait un peu par hasard : vu la nature du projet, on peut jouer quasiment partout où on nous le propose, et nos setlists peuvent être adaptées : en configuration salle, on met le paquet sur l’aspect metal indus, alors qu’en convention, on inclut des reprises pop culture, en plus de nos compos’. C’est un univers très ouvert d’esprit, les gens s’habillent comme ils le souhaitent, et on entend plein de styles musicaux, y compris du metal. D’autant que le metalleux a tendance à être geek, donc ça ne leur est pas étranger. En plus, les conventions possèdent souvent de grosses scènes avec du matos pour bien projeter les vidéos.
Ceci étant dit, on aimerait développer l’aspect « concert traditionnel » dans des salles avec d’autres groupes, mais c’est plus compliqué car notre style est vraiment à part. On ne fait pas du post-black ou post-hardcore, des styles bien plus courants. On a quand même joué avec des groupes de djent, d’indus…
Avez-vous déjà été refusé par certaines orgas ou salles à cause de cela ?
C’est plutôt que j’ai peu de retours. Je continue de démarcher autant les conventions que les salles ou asso metal rock, mais dans les faits, j’ai beaucoup plus de retours du côté des conventions. On croit qu’être original peut ouvrir des portes, mais ça a plutôt tendance à être l’inverse… (Rires) Je comprends que notre univers puisse déstabiliser.
Ces dernières années, il y a quand même eu un regain d’intérêt pour des styles tels que la synthwave au sein même de la communauté metal française, avec CARPENTER BRUT, PERTURBATOR, DAN TERMINUS….
Tout à fait. D’ailleurs, les metalleux sont souvent des adeptes de culture alternative, de cinéma, c’est souvent des geeks… Nous, on fait justement le pont entre la pop culture et le metal. Le succès d’un artiste comme CARPENTER BRUT prouve bien qu’il est possible d’accrocher le public metal ! Un nouveau style à part entière a émergé.
On a aussi déjà joué avec des groupes de synthwave, même si, contrairement à eux, notre approche n’est pas tournée vers le rétro et le old school, ou une vision « années 1980 » du futur. On est vraiment orienté post-futur, et c’est la technologie et les théories modernes de la physique qui m’intéressent.
Là où vous vous rejoignez notamment avec CARPENTER BRUT, c’est l’importance que vous donnez à la cinématographie. Le fait qu’il ait composé la bande-originale du film conceptuel Blood Machines le prouve bien.
Je trouve sa trajectoire artistique géniale, et c’est ce que j’essaie de faire à mon niveau. Ce serait intéressant d’échanger avec lui, car le rendu de son travail est exceptionnel…
En parlant du clip, j’ai constaté que tu avais reçu l’aide de très peu de personnes dans les crédits, pour un résultat assez pro. As-tu reçu une formation dans l’audiovisuel ?
Effectivement, j’ai fait beaucoup de choses. (Rires). J’en suis le réalisateur-monteur, le créateur d’effets spéciaux, et bien sûr le compositeur. Mon métier me donne aussi la chance d’investir du temps dans le montage, la post-production ou la création musicale. Quand j’ai commencé à travailler sur des courts-métrages, j’ai aussi développé la partie vidéo en autodidacte, et j’ai aussi fait de la 3D.
Je ne suis pas expert dans tous les domaines, mais comme je suis touche-à-tout, j’ai une vision transversale du sujet, ce qui me permet de faire quelque chose d’assez qualitatif, sans avoir à faire appel à d’autres personnes. Ce n’est pas que je m’y refuse, mais je n’en ai pas forcément dans mon entourage, ou alors je n’ai pas le budget.
Néanmoins, depuis nos débuts, nous collaborons avec un caméraman et un technicien lumière, et on a mis la main sur des décors et des costumes incroyables, ce qui a facilité la tâche.
Comment as-tu accédé à ces costumes et décors ?
Nos passages dans les conventions et les jeux de rôles en grandeur nature nous ont fait rencontrer plein de gens avec qui on a tissés des liens. On a donc toujours beaucoup de volontaires qui viennent nous aider et participer.
Je suis déjà en train de travailler sur le prochain clip qui devrait être plus balèze. Le défaut du clip de The Green Light, c’est peut-être sa densité, surtout pour un spectateur qui ne connaitrait pas l’univers ou l’histoire. Pour le prochain, je vais probablement revenir en arrière là-dessus, mais essayer d’aller encore plus loin dans le rendu qualitatif.
Un e-book est d’ailleurs disponible en ligne et sur le nouvel album.
En effet, et il va de pair avec le clip. Il y a toute une histoire de fond qui s’est développée depuis qu’on est passé de « Entropy Zero » à « Ogezor ». C’est tout cela que j’essaie d’exploiter via différents médias : la musique au départ, puis le e-book, le clip, et j’aimerais aussi créer une bande-dessinée. Je suis un grand fan de BD, de comics, et notamment de Hulk et Méta-Barons. Sortir une BD serait vraiment un rêve qui se réalise !
J’ai aussi développé un jeu vidéo où le joueur a la possibilité de se balader sur le bunker Zéro, qui est le vaisseau-mère, et de découvrir des personnages, des missions. J’ai intégré quelques clins d’œil à la pop culture, tel que Robocop, qui a vraiment aidé à former mon imaginaire de la science-fiction.
Et petite exclu : on va sortir un jeu de 16 cartes, une sorte de Memory évolué où les joueurs s’affrontent et incarnent d’un côté la faction Ogezor et de l’autre la faction de la légion (les « méchants » dans l’univers). Il s’agit d’une collaboration avec 1D100, spécialisé dans les jeux de plateau. J’ai apporté mon univers, et eux ont fait des propositions et m’ont orienté pour la production.

Distortion Process
As-tu développé le jeu vidéo tout seul ?
Oui (Rires) Un matin, je me suis levé et j’ai dit à mon frère : « j’ai très envie de faire un jeu vidéo ! » Je ne partais pas complètement de zéro car j’ai fait un peu d’informatique par le passé, et je connais un peu le langage. Aujourd’hui, il existe de très bons outils. Il ne s’agit pas non plus d’un jeu Triple-A, mais ça tient la route : c’est une sorte de click-and-play avec de petites animations, on se balade dans différents environnements, et il y a également des mini-jeux… Je n’aurais pas pu faire beaucoup plus, mais je pense que c’est déjà pas mal ! J’ai pris du plaisir à le faire, il y a plusieurs personnes qui l’ont essayé et qui ont même été jusqu’au bout.
Revenons au changement de nom et à la signification d’ « Ogezor »…
Comme je le disais plus tôt, on est allés beaucoup plus loin dans l’univers, et c’était le bon moment pour changer de nom. Quand on cherchait « Entropy Zero » sur Internet, cela ne renvoyait pas toujours à notre projet. J’ai donc décidé d’opter pour un nom sans ambiguïté, en plus de développer un petit dialecte. Dans le groupe, tout est basé sur la dualité : on est deux dans le groupe, il y a deux clans… Dans ce dialecte, chaque mot est composé de doubles lettres. « Ogezor », c’est en fait trois mots signifiant « la lumière verte ». On a aussi conservé le « EZ » d’« Entropy Zero ».
Etes-vous amené à intégrer d’autres membres lors des concerts ?
Pas forcément. Mon frère est à la basse, je suis au keytar, aux machines et maintenant, au chant. J’ai un peu pris de l’âge, et je n’ai plus trop envie de consacrer de temps pour trouver des musiciens qui soient bons et avec qui on s’entende sur le long terme. Ça, c’est plus compliqué ! Au moins, avec mon frère, on se connait depuis longtemps, on s’entend bien et on est en phase.
En revanche, on réfléchit à ajouter des intervenants : comme on n’est que deux, ce n’est pas toujours facile de remplir l’espace scénique. La scénographie nous permet de régler le problème, mais on aimerait également faire participer des amis qui incarneraient des personnages de l’univers. Ce serait un vrai plus pour le concert, quelle que soit la taille de la scène. Le tout est que ça ait du sens et qu’on comprenne la raison d’être de ces personnages.
Cela rappelle un peu les concerts de SHÂARGHOT qui font souvent intervenir des performers sur scène…
C’est pour ça que j’adore ce groupe. Musicalement, c’est très bien, mais je n’irais pas jusqu’à qualifier cela d’ « extraordinaire ». Ma musique est plus intellectuelle, un peu plus inspirée de musiques de films, d’ailleurs j’en écoute plus que ce que j’écoute du metal. Mais visuellement, sur scène ou vis-à-vis de la création artistique, SHÂARGHOT est pour moi de l’ordre de l’exceptionnel ! Encore une fois, il s’agit d’un groupe français qui sort du rang et où il y a un vrai travail artistique élaboré à travers les scénarios, les personnages… Récemment, je les ai vus en concert au Ferrailleur de Nantes, et il y avait une énergie folle.
Tu parlais de musiques de films. Quelles sont tes BO fétiches ?
Je suis un gros fan d’Hans Zimmer, je sais que ce n’est pas très original… (Rires) Mais c’est vraiment la référence. Sinon, je m’oriente majoritairement vers la science-fiction ou le fantastique, même si j’écoutais encore récemment La Leçon de Piano, qui n’a rien à voir avec cet univers (Rires) C’est très varié, et c’est aussi la raison pour laquelle j’ai du mal à écrire un album proposant un seul style.
Aujourd’hui, tout va très vite, on écoute 5 secondes avant de passer à autre chose, et j’avoue que ça m’arrive à moi aussi. Si on écoute 30 secondes d’une chanson d’OGEZOR, on passe complètement à côté de ce que je veux développer. Déjà, selon le morceau, ça n’a potentiellement rien à voir, sans compter les variations au sein même des titres…
J’ai toujours du mal à décrire notre style quand on nous le demande : on fait du metal electro, mais c’est bien plus que ça. Mon frère a tendance à dire qu’on fait du OGEZOR et que pour savoir ce qu’on joue, il faut nous écouter (Rires).
J’ai notamment été conquise par le passage de piano inattendu sur FPS…
Dans The Last Kiss, on retrouve aussi un long passage où on change du tout au tout, il y a même des percu’ africaines. C’est vraiment ce que j’aime : commencer par quelque chose qui envoie, puis passer par une phase calme avant que ça reparte de plus bel. J’aime le clair-obscur…
Es-tu fan de prog’ ?
J’aime bien, même si je n’en écoute pas beaucoup. Le fait que je travaille constamment sur différents médias me laisse peu de temps pour écouter de la musique, et bizarrement, je n’arrive pas à travailler avec de la musique en fond ! Ecouter de la musique est une activité à part entière, et cela peut vite me déconcentrer dans mon travail.
Sinon, j’aime bien DREAM THEATER. Je me fais toujours lapider quand je dis ça, mais techniquement, ils sont monstrueux. Quand je regarde leurs lives, je me sens comme une merde à côté (Rires) Mais cela me motive pour retravailler mon instrument, quelque chose pour lequel j’ai de moins en moins de temps.
Quelles sont les prochaines étapes et événements pour OGEZOR ?
On joue du côté d’Orléans ce week-end (au moment de l’interview, NDLR), puis au Japan Tours. À l’occasion de notre 50e concert, on se produira lors du Rad Wars : saison 2 du côté de Dijon, un jeu de rôle grandeur nature dans un univers post-apocalyptique. Enfin on devrait jouer au AK Shelter en août. C’est un super bar-restaurant à Nantes sur le thème des motards, avec un barbier, un atelier de Harley et une scène pour les concerts. L’ambiance y est géniale !
Depuis la reprise des concerts, on en a en moyenne un à deux par mois, avec des conditions de scène convenables pour OGEZOR.
Si on vous propose une super opportunité mais qui vous ferait sacrifier votre scénographie, accepteriez-vous ?
Tout dépend de l’opportunité. Mais dans la mesure où il s’agit d’une bonne opportunité, il y a forcément de quoi installer au moins un écran ! Par le passé, il nous est arrivé de simplement utiliser un écran TV sur pied, comme lors de notre passage à Rennes en Février dernier dans un petit café-concert qui a la capacité d’accueillir une 100aine de personnes. Comme la salle est petite, ça marche bien !

Photos : Annaick Gratecap