Après le succès engendré par « Design Your Universe » et l’engouement des fans à son égard, le cinquième opus de ce groupe désormais culte était attendu au tournant. Force est de constater qu’EPICA est devenu, année après année, un groupe incontournable du metal symphonique à chant féminin, et qui n’a plus à rougir face à des groupes à succès tels que NIGHTWISH et WITHIN TEMPTATION.
Sans toutefois apporter de nouveauté majeure, EPICA a su travailler sur ses propres forces et procurer à « Requiem for the Indifferent » des sonorités qui rappelleront à l’auditeur chacun des albums de leur discographie.
Comme la tradition le veut, une intro symphonique ouvre la marche, et c’est malheureusement bien peu inspiré que le groupe décide de présenter sa nouvelle création : on a probablement là l’une des moins bonnes intros produites jusqu’ici. Néanmoins, le titre qui suit, Monopoly on Truth, rattrape très vite ce vide avec ses sept minutes de metal progressif dont la parenté avec The Obsessive Devotion¹ semble évidente, avec son rythme rapide, ses grunts violents et ses chœurs masculins; au premier abord, la voix de Simone Simons se fait quelque peu criarde dans un effort de puissance, pour ensuite nous enchanter de sa voix plus douce. Alors que les grunts se mêlent élégamment aux chœurs, on s’aperçoit à quel point ces derniers n’ont jamais été aussi bons et travaillés – un fait qui demeure vrai pour la quasi-totalité de l’album.
Choisi pour être le single de « Requiem for the Indifferent », Storm the Sorrow, qui a déjà fait ses preuves en live, commence de manière tonitruante. On a bien là un morceau accrocheur aux mélodies intéressantes et sur lequel Simone démontre ses diverses techniques, dont une voix grave et forcée acquise durant les dernières tournées – qui ne sera peut-être pas du goût de tous, et qui réapparaîtra souvent sur l’opus. Malgré tout, son chant dans l’ensemble reste agréable, comme il l’a toujours été en studio, et se mêle subtilement à la voix d’arrière-plan de leur éternelle choriste, j’ai nommé Amanda Somerville.

Comme à chaque fois, EPICA met un point d’honneur à sa chanson-titre, ici longue de huit minutes : le début pose un effet d’attente au paysage infiniment oriental, avec entre autres de belles vocalises arabisantes de la part de Simone, comparables à celles que la chanteuse effectuait sur Seif Al Din² neuf ans plus tôt. Le morceau, très progressif, est cependant loin d’être décousu, et on note une fois encore la qualité et la diversité des chœurs qui apportent une dimension certaine à l’ensemble.
Les souvenirs ne cessent de remonter à la surface, notamment au travers des ballades… Delirium, qui démarre telle Living a Lie¹, n’apporte malheureusement aucun relief au tout. Au contraire, Deep Water Horizon, à l’instar de Chasing the Dragon¹, commence sur un rythme lent aux sons de la douce voix de la chanteuse, de guitares sèches et de violons discrets, pour ensuite gagner en intensité, notamment grâce à une orchestration digne d’un roman héroïque qui aurait pu apparaître sur « Consign to Oblivion³ ». Quant à Avalanche, si la transition entre la première et la seconde partie se fait de manière plutôt abrupte, à l’image du titre, l’apothéose arrive au moment où les chœurs soutiennent la voix de la soprano ! Elle crée en effet la surprise en montant aisément dans les aigus de la façon la plus fluide qui soit. En outre, ce sera l’un des rares passages lyriques que la chanteuse effectuera sur tout l’album.
D’autres compositions, inévitablement, se situent un niveau en dessous, à l’image d’Internal Warfare, qui présente néanmoins d’intéressantes lignes vocales sur les couplets. Elle a aussi l’avantage de nous présenter un solo dément d’Isaac Delahaye, suivi de parties synthés « à la SONATA ARCTICA » qui tombent hélas comme un cheveu dans la soupe. Même les chœurs ne parviennent pas à nous charmer, tant ils ressemblent trop à ceux de Menace of Vanity¹ ou Martyr of the Free Word*.
Bien que certains n’aient pas noté de grandes différences entre EPICA et MAYAN, side-project du leader Mark Jansen, les couplets et l’intro de Stay The Course en portent clairement l’empreinte, avec ses orchestrations austères et ses grunts agressifs, alors que le refrain sonne au contraire très accessible et sans surprise.
Précédée d’Anima, une interlude au piano mélancolique mais répétitive, Guilty Demeanor, étonnamment courte, fait preuve d’efficacité, avec sa sombre mélodie et ses chœurs énergiques. Quant à la voix de Simone, elle est plus transformée que jamais avec cette technique de voix forcée discutée plus haut… Elle termine toutefois en beauté alors qu’elle tient la note finale de toute sa puissance.
Deter The Tyrant aurait été l’un des titres les plus intéressants de l’album, avec son rythme entraînant et ses parties de guitares très présentes, si le refrain ne reprenait pas presque note pour note le passage interprété par Floor Jansen sur Symphony of Aggression de MaYaN, et si la mélodie des guitares ne ressemblait pas autant à celle de My Pledge of Allegiance – part I d’AFTER FOREVER ! La composition n’en est pas moins diversifiée et appréciable de par son rythme soutenu, alors que la douce voix de Simone vient apaiser le chaos créé par le discours du Colonel Kadhafi.

Simone Simons
C’est avec une réussite longue de 10 minutes que « Requiem for the Indifferent » se clôt : suite à une erreur du label, nous avons d’abord eu accès à la version instrumentale de Serenade of Self-Destruction. Croyant dur comme fer et avec satisfaction que le groupe avait eu l’audace de terminer l’album sur une instrumentale, j’ai pu apprécier l’extraordinaire harmonie des instruments, les guitares, trop peu audibles dans la version originale, et les chœurs, qui offrent le meilleur d’eux-mêmes sur le passage le plus oriental de toute la carrière du groupe, et dont la beauté ne ressort que mieux lorsqu’ils constituent les seules voix du morceau.
De même, la batterie d’Ariën Van Weesenbeek joue le jeu dans un rythme lent mais incroyablement adéquat. Chaque partie s’imbrique parfaitement avec la suivante, sans effet de répétition ou de lourdeur. À dire vrai, en se penchant sur la version officielle, on réalise que les lignes de chant de Simone et Mark n’apportent aucune dimension nouvelle au reste, si ce n’est peut-être du chant lyrique, qu’on accueille à bras ouvert tant il se fait rare. En bref, cette composition serait suffisamment dense et complète sans les voix des interprètes et gagnerait à parler d’elle-même en live.
Il est donc clair que certains éléments propres à chaque album se manifestent dans « Requiem for the Indifferent », comme si le groupe avait souhaité résumer ces dix ans de carrière et mettre fin à une ère. EPICA présente ici de quoi conforter les fans dans leurs attentes. Les auditeurs avides de nouveauté et d’évolution auront quelques déceptions à l’écoute de ce nouvel album. Les autres seront satisfaits du pouvoir enchanteur des chœurs et des mélodies, tout en reconnaissant avec nostalgie quelques moments du passé et du présent de la carrière de Mark Jansen.
TRACKLIST
1. Karma
2. Monopoly On Truth
3. Storm The Sorrow
4. Delirium
5. Internal Warfare
6. Requiem For The Indifferent
7. Anima
8. Guilty Demeanor
9. Deep Water Horizon
10. Stay The Course
11. Deter The Tyrant
12. Avalanche
13. Serenade Of Self-Destruction
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1: Extrait de « The Divine Conspiracy » (2007)
2: Extrait de « The Phantom Agony » (2003)
3: 2e album (2005)
*: Extrait de « Design your Universe » (2009)