C’est après un concert où le public marseillais a donné tout ce qu’il avait que Coen Janssen et Isaac Delahaye, respectivement claviériste et guitariste d’EPICA, ont répondu à nos questions. Ambiance détendue caractéristique d’un moment post-concert, pendant lequel nous avons bien sûr discuté des thèmes et de l’atmosphère du nouvel album, de la tournée, ou encore… des conséquences néfastes d’un headbang trop violent !
« The Quantum Enigma » est bien plus lumineux que l’était « Requiem For The Indifferent » (2012). Le caractère optimiste du dernier album était-il un moyen de contrebalancer l’aspect sombre du précédent ?
Isaac Delahaye – En un sens, oui. Malgré tout, on ne sait jamais ce qui peut se passer lorsqu’on s’attaque à l’écriture d’un album. La seule condition, c’est de ne pas se répéter. « Requiem For The Indifferent » est la réaction logique à « Design Your Universe » (2009), qui était lui aussi plus optimiste, avec des compos plus épiques.
Coen – On a également commencé l’écriture de « Requiem » au moment où la crise touchait l’Europe…
Isaac – Oui, sans oublier le Printemps Arabe. Tant d’événements se sont déroulés, le monde n’était plus très lumineux… Cela transparaît dans l’album. En plus de cela, Simone (Simons, ndlr) a eu un enfant, et son chant a forcément été influencé par cette expérience, contribuant ainsi à l’atmosphère plus positive qui se dégage de « The Quantum Enigma ». Quand Coen est devenu père pour la première fois, je me souviens que sa perception du groupe avait changé : il est passé de « Allons nous éclater en tournée, on verra bien ce qui arrive ! » à « On peut continuer à s’éclater, tant que je suis présent pour mes enfants et que je peux subvenir à leurs besoins. »
Coen – Et encore, je ne suis « que » père. J’imagine que devenir mère doit être encore plus marquant… Une chose que j’ai apprise, c’est qu’on ne devient vraiment adulte que lorsqu’on a des enfants ! Avant cela, nous ne sommes que des enfants nous-mêmes…

On remarque que le chant de Simone a évolué, surtout sur un titre comme The Second Stone…
C’est vrai. Et le son est aussi différent parce que nous avons travaillé avec un autre producteur (Joost van den Broek, ndlr). Même avant d’intégrer AFTER FOREVER, Joost produisait pas mal de choses… C’est quelqu’un de très sérieux, et il sait vraiment ce qu’il fait. Le changement de producteur me faisait un peu peur, car nous avons longtemps collaboré avec Sascha (Paeth, ndlr)… Mais j’ai tout de suite été rassuré par son professionnalisme. C’est un plaisir de travailler avec lui !
Isaac – L’autre différence majeure avec « The Quantum Enigma », c’est que nous avons répété tous ensemble avant même d’entrer en studio : on a commencé à enregistrer en pleine pré-production. Dans le passé, on écrivait les morceaux et on enregistrait séparément, dans nos « homestudio » respectifs, et ce n’est qu’au moment du premier concert de la tournée qu’on se rassemblait enfin… Je pense que c’est avant tout pour cette raison que l’album sonne plus « groovy ».
Les morceaux prennent toute leur dimension en live, d’où le son puissant dont les spectateurs bénéficient. Grâce à cela, on s’amuse comme des fous ! Pour revenir à ton commentaire sur le chant de Simone, si on travaille avec les bonnes personnes, alors tout roule.
Coen – Et si les morceaux sont bons, alors la voix le sera aussi !
Isaac – En effet, même s’il arrive qu’une compo’ perde de sa superbe avec les lignes de chant par-dessus… Au contraire, de bonnes lignes de chant peuvent rendre un morceau banal tout à fait exceptionnel. Pour cet album, on a pris notre temps, d’autant que Simone était enceinte et que nous avions arrêté les concerts pendant une certaine période.

(photo : Tim Tronckoe)
Quelles ont été vos impressions la première fois que vous avez visionné le DVD « Retrospect » (2013) ? De quoi êtes-vous particulièrement fiers et, au contraire, un peu déçus ?
Coen – On en est très fiers, mais cela nous a demandé un travail monstre. On a tout fait nous-mêmes, de l’infrastructure aux arrangements musicaux… On peut dire que j’y ai consacré quatre années de ma vie ! (rires) C’était super d’assister à l’avant-première du DVD, et on ne peut qu’être fiers d’avoir accompli une telle chose. D’un autre côté, on voit tout ce qui aurait dû pu être mieux fait… Pendant notre performance, on a dû tout donner, mais en même temps, on devait réfléchir à tout ce qui devait se passer sur scène. Ce n’était pas un vrai concert, c’est plutôt étrange, en fait…
Isaac – Sans compter que la performance en elle-même nous a épuisés. Au bout d’une heure de concert, je me souviens avoir pensé : « Merde, je devrais être en train de m’amuser, là ! ». J’étais exténué. Toute la semaine précédente, on a répété, on a réfléchi au moindre détail, mais aussi à la logistique… On devait faire bonne figure, tout en s’occupant d’un tas de choses ! Au final, le concert est passé en un clin d’œil.
Coen – Et pourtant, on a joué trois heures, alors qu’un concert ordinaire excède rarement une heure et demie. On se demande encore comment on a pu y arriver… Ceci étant dit, j’ai récemment revu l’intro, et bien que j’en sois fier, j’ai tout de suite vu et entendu tous les détails qui auraient pu être améliorés.
Est-ce que ça voudrait dire que vous préférez le produit final au déroulement du concert en lui-même ?
Je crois que c’est toujours le cas ! C’est un peu idiot à dire, mais on apprend à aimer le produit final. « Retrospect », c’était du sang, de la sueur et des larmes.

Coen Janssen (photo : Tim Tronckoe)
Victims Of Contingency a été co-écrit avec deux membres de MAYAN (l’autre groupe de Mark Jansen, ndlr) : Jack (Driessen, ndlr) et Frank (Schiphorst, ndlr). Comment en sont-ils venus à collaborer avec vous ?
Isaac – En réalité, cela ne concerne qu’un riff. C’est Mark qui a écrit le morceau, mais Coen a ensuite modifié pas mal de choses. Il y avait une partie qui devait durer plus longtemps, mais ça faisait un peu lourd… On s’est rendus au studio de Mark pour apporter à notre tour notre contribution.
Ceci étant dit, j’ai écrit Chemical Insomnia lorsque je faisais encore partie de MAYAN. Je me souviens que Mark voulait l’utiliser pour MAYAN, mais j’insistais pour qu’elle revienne à EPICA. De son côté, il souhaitait vraiment l’enregistrer pour MAYAN ! J’avais déjà entamé la composition de la chanson avant que « Requiem For The Indifferent » sorte. C’est finalement devenu un morceau d’EPICA, avec son intro asiatique…
Comment décririez-vous votre rapport avec les fans ?
Coen – On s’efforce d’entretenir de bons rapports avec eux, mais cela devient de plus en plus difficile de faire plaisir à tout le monde… On organise des rencontres avant les concerts avec les packs VIP, mais on ne peut pas faire ça avec deux-cents personnes… On essaie vraiment de contenter les fans, et on est conscients qu’on leur doit beaucoup, mais il y en aura toujours qui ne seront pas satisfaits.
Isaac – On reçoit des tonnes de messages, que ce soit par email ou par Facebook… On reçoit même des lettres et des dessins. Ce n’est pas toujours évident de garder le rythme et de répondre à tout le monde. J’ai déjà essayé, mais quand je réponds, les gens répondent à leur tour, et on doit alors gérer plusieurs conversations en même temps.

(Photo : Tim Tronckoe)
Diriez-vous que les réseaux sociaux ont rendu vos échanges avec les fans plus faciles ?
Coen – Il est clair que maintenant, les fans peuvent nous contacter plus facilement ! Ils essaient même de nous contacter sur nos profils privés. Avant, il y avait les forums et les fanclubs, c’était plus simple. Maintenant, il n’y en a plus que pour Facebook et Twitter.
Isaac – J’ai une petite amie et une famille, et ils essaient également de me contacter. Eux passent avant tout, malgré le respect que je porte aux fans. Parfois, on n’a même pas accès à Internet… Et on manque de temps ! On est donc très limités, et je pense que la plupart des fans ne se rendent pas compte de cela.
Coen – Il faut aussi qu’on prenne le temps de dormir !
Isaac – Oui, surtout Simone, qui doit reposer sa voix… Bien sûr, c’est le visage du groupe, donc elle reçoit toutes les critiques, aussi bien positives que négatives. On la critiquera si elle ne s’est pas arrêtée pour saluer les fans, par exemple… Ça vaut aussi pour les concerts : certains seront très satisfaits de notre setlist, d’autres nous reprocheront de ne pas avoir joué certains morceaux. Ce soir, par exemple, nous n’avons pas joué de ballade… Et je pense que certains en feront la remarque !

Isaac Delahaye (photo : Emilie Garcin)
Isaac, tu headbangues énormément. Comment arrives-tu à gérer cela chaque soir, pendant toute une tournée, sans que ta tête finisse par rouler par terre ?
(Rires) Très bonne question ! J’ai commencé la tournée avec un début de hernie… J’avais très mal au cou. Mais bon… “The show must go on”, comme on dit ! J’ai bénéficié de massages et de chiropractie. Ce n’est pas évident, et j’en souffre beaucoup. Cela ne fait d’ailleurs que quelques jours que je me sens assez bien. Au début, je ne pouvais pas vraiment bouger comme d’habitude ou faire l’« Hélicoptère »…
Coen – Eh oui, ça porte un nom ! (rires)
Isaac – J’étais vraiment frustré ! J’ai donc entrepris de headbanger en partant du dos…
Du « backbanging » ?
C’est ça, oui ! (rires) Toutefois, le jour suivant, j’ai eu mal au dos parce que je n’y suis pas habitué… Bref, j’avais mal partout !
La seule solution serait de te couper les cheveux, comme Coen…
Coen – Je te signale que j’headbangue toujours ! Le truc, c’est que je ne peux plus me cacher derrière mes cheveux… Avant, j’étais quasiment allongé sur mon clavier ! (rires) Mais maintenant, tout le monde voit mon visage… C’est plus difficile de s’endormir sans que les gens s’en aperçoivent !
Isaac – C’est Henri « T.S.K. » Sattler, le chanteur de GOD DETHRONED, qui m’a donné l’idée de ce que tu appelles le « backbanging »… Mon médecin m’a conseillé d’arrêter, parce que mon cou est très abîmé, maintenant…
Coen – Mais comment pourra-t-il continuer à être ton médecin si tu arrêtes ? (rires)
Isaac – Tout à fait ! (rires) Ceci étant dit, je considère cela comme un défi à relever. C’est la seule chose que je puisse faire sur scène, puisque mes deux mains sont prises…
D’après mes souvenirs, il y a trois ou quatre ans, le public n’était pas friand des « wall of death » et autres « circle pit »… Est-ce devenu une nouvelle habitude de votre public ?
Coen – Je crois que ça n’arrive qu’à Marseille ! Ce soir, le public était vraiment fou…
C’est avant tout Mark qui a demandé au public de faire un « circle pit » !
Isaac – C’est vrai, mais il ne l’aurait jamais demandé si le public était resté de marbre toute la soirée ! (rires) Je pense aussi que le coté plus heavy de notre nouvel album encourage ce genre d’énergie. Il se pourrait bien que les metalleux rustres et bourrus se mettent à écouter EPICA, désormais ! En fait, même les anciens morceaux sonnent plus heavy et ont une autre dimension. Ce soir, ça bougeait vraiment, c’était super.
Cela fait plus de neuf ans qu’EPICA a joué aux alentours de Marseille pour la première fois, lors de la tournée de « Consign To Oblivion » (2005). Coen, te souviens-tu quoique ce soit de ce concert ?
Coen – Oui ! J’en parlais justement avec Mark… Je me souviens que c’était une salle un peu étrange, dans un bâtiment bleu… Je me rappelle aussi notre première partie, THE OLD DEAD TREE, qui était un groupe français, non ?
C’est exact !
C’est un bon souvenir, mais ce n’est rien comparé à aujourd’hui…

Photo finale au concert à Marseille ! (Photo : Emilie Garcin)
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Photo MF : Lucinda.
Avec la contribution et la participation de Metal Ways.