Les claviers de Pierre le Pape à l'Horizon
Quelques mois après la sortie tant attendue d’Horizon, quatrième album d’Embryonic Cells, Pierre le Pape, notamment connu pour avoir mené à bien le projet rock-opera Melted Space, s’est entretenu avec nous au Dr Feelgood Les Halles, à Paris. En plus d’aborder le grand retour du groupe après plusieurs années d’absence, nous sommes revenus sur ses différents projets, sa façon de travailler en coulisses, ou encore sa rencontre privilégiée avec Derek Sherinian…
Peux-tu reparler de ton intégration au groupe ?
Pierre Le Pape – Le groupe va bientôt fêter ses 25 ans, mais pour ma part, j’ai les ai rejoints il y a 12 ans pour la sortie de l’album Before The Storm. C’est assez amusant car je les connais depuis le lycée, et c’est le premier groupe de metal que j’ai vu en concert de toute ma vie, alors qu’ils participaient à un tremplin rock à Troyes ! À l’époque, Max jouait également dans un autre groupe. On s’était déjà croisés lors de concerts dans des bars locaux, quand je jouais dans un groupe de heavy. J’étais encore étudiant, et c’est mon prof d’électro-acoustique qui avait enregistré les claviers de Before The Storm. Quand le groupe a commencé à chercher quelqu’un pour le live, mon prof leur a parlé de moi en leur expliquant que j’étais un metalleux et que j’adorais ce genre de musique. J’ai tout de suite été mis dans le bain : moins d’une semaine après, on ouvrait pour Gwar à la Cartonnerie !
Quelles sont les raisons qui expliquent un tel délai entre la sortie de The Dread Sentence (2012) et Horizon ?
Plusieurs choses ! Nous avons beaucoup d’engagements professionnels. Mis à part Max, on a aussi tous des groupes en parallèle. En plus de cela, le batteur a déménagé à Lyon. Auparavant, on se voyait tous les mardis soirs. Maintenant, on se réunit bien moins fréquemment…
Bien sûr, mes activités avec Melted Space m’ont pas mal éloigné d’Embryonic Cells pendant quelques années, sans pour autant que je quitte complètement l’environnement du groupe. À un moment donné, j’ai préféré me retirer pour ne pas les ralentir. Ceci dit, je leur avais bien précisé qu’ils pouvaient compter sur moi pour enregistrer les claviers sur l’album suivant. À l’occasion des vingt ans du groupe, je les ai rejoints sur scène pour deux titres. Du coup, ça a relancé la machine ! Il n’y a jamais eu de mésentente, et on a toujours su préserver cette ambiance « groupe de potes ». Cela me permettait aussi de relâcher la pression engendrée par Melted Space, qui réclame beaucoup d’organisation…
Embryonic Cells va-t-il devenir une priorité pour les mois à venir et prendre le pas sur tes autres activités ?
Je ne sais pas encore. Ce que je peux dire, c’est que les conditions sont là pour que la bande de potes qu’on constitue se mette bien au travail. De mon côté, j’ai d’autres choses sur le feu, et cela ne m’a pas pour autant empêché de faire cet album-là. Le dernier Melted Space a d’ailleurs été produit en même temps que celui d’Embryonic Cells. L’un n’empêche pas l’autre. En ce moment, on n’est clairement pas dans une dynamique où on va attendre cinq ans pour sortir le prochain. Pour tout dire, on parle déjà du successeur d’Horizon ! En plus, il y a eu la signature avec Apathia, la date à venir au Hellfest, qui va être un très beau tremplin.
Il y a eu comme un « switch » qui s’est opéré. Les retours sur le nouvel album sont très bons, que ce soit ceux qu’on a reçus aujourd’hui de la part des journalistes ou dans les chroniques qui paraissent un peu partout. Sans parler de tournée à proprement parler, on va vraiment faire en sorte de défendre l’album sur scène, où le groupe a sa place, car Embryonic Cells est un groupe live avant tout.
Quelle est l’histoire que raconte Horizon ?
Ce n’est pas un concept-album mais il y a effectivement un fil rouge sur l’exode, c’est-à-dire sur les déracinés qui doivent dépasser leur propre horizon pour vivre dans un autre (d’où le titre "Horizon To Horizon"). Ils traversent des épreuves où ils doivent se dépasser. L’actualité fait assez écho à ce qu’on retrouve dans l’album, même si ce n’est pas du tout politisé. Mais il est vrai qu’on fait référence aux déracinés du passé, du présent et peut-être du futur en abordant la thématique du climat, par exemple.
Qu’en est-il de l’évolution musicale sur cet album ?
Avant, nous étions vraiment orientés « black metal old school des années 1990 ». Là, nous avons beaucoup d’ajouts et de nouvelles sonorités. Pour tout dire, le travail qui a été fait dans Melted Space se retrouve dans cet album. Il y a même des sons identiques ! (Rires) Je me les suis appropriés, et maintenant, ils font partie de mon jeu de tous les jours. Je les exploite également sur scène, que ce soit avec Embryonic Cells, ou même Seth. Ces deux dernières années, j’ai fait un gros travail de recherche de son et de développement, d’autant que j’ai changé de matériel et que cela m’a permis de tester plein de nouvelles choses et de repenser un peu ma façon de travailler, d’envisager l’enregistrement.
J’ai aussi eu la chance de prendre un cours de piano avec Derek Sherinian (Sons of Apollo, ex-Dream Theater) qui m’a fait repenser la façon d’appréhender mon instrument. C’était un des meilleurs moments de ma vie ! Il est une de mes influences principales en termes de claviers, sans compter qu’il est d’une humilité déroutante. On a donc travaillé sur un titre ou deux de Melted Space. Suite à quoi, il m’a dit quelque chose qui m’a interpellé : « C’est bien, mais c’est dommage que tu ne joues pas assez en tant que pianiste ». De ce fait, dans les nouvelles idées que j’ai mentionnées tout à l’heure, on ne trouve pas d’orchestre et très peu d’arrangements. C’est beaucoup plus brut et direct. On m’entend jouer, tout simplement. C’était intéressant, car cela permet d’évoluer et de se remettre en question.
On note surtout pas mal de passages planants, qui posent une ambiance…
C’est parce qu’il y a d’une part ce travail sur les claviers, mais aussi un travail de voix. Max en parlerait mieux que moi, mais comme il dit en rigolant : Pierre Schaffner (Phazm), qui a participé au processus de création final, lui a « cassé la gueule » en studio, dans le sens où il lui a fait faire une remise en question. Cela a entraîné l’utilisation des voix claires, des doublages, des chœurs… Des choses qu’il n’avait jamais expérimentées auparavant.
On a vraiment utilisé la voix comme un instrument. Ce n’est pas anodin qu’elle soit parfois un peu en retrait dans le mix, comme sur des notes longues, des grands cris… Le chant accompagne une ambiance et construit une atmosphère, par opposition à du chant de lead frontman. De plus, on a changé de bassiste. On n’est pas allé chercher loin, puisqu’on a engagé mon ancien coloc’, un autre Pierre ! (Rires) Il a amené pas mal d’idées nouvelles. Enfin, au niveau de la production, on a fait un mélange entre old school et moderne. On ne se voyait pas proposer quelque chose qui ne tienne pas compte des standards de production actuels.
Qu’en est-il de l’avenir proche de Melted Space ?
Pour l’instant, je travaille sur un autre projet qui m’est cher et sur lequel je souhaitais me pencher depuis longtemps… C’était un rêve de gamin ! Une annonce sera faite dans quelques mois, et j’ai vraiment hâte de partager ça avec le plus grand nombre. J’ai eu l’occasion de travailler avec des musiciens extraordinaires avec qui je voulais collaborer depuis très longtemps. Ça ne s’était pas fait dans le cadre de Melted Space, mais aujourd’hui, ça va aboutir dans un autre cadre. Là, on en est à la phase de mixage, et j’en suis vraiment content !
Hormis Embryonic Cells, je vais jouer dans quelques festivals avec Seth… Disons que j’ai un emploi du temps déjà bien chargé ! Depuis la sortie du premier album de Melted Space en 2012, il y a eu un flux non-stop de production, que ce soit vidéo, tournées ou albums… Tout cela est très fatigant quand on porte ça seul à bout de bras. J’ai repris la composition pour moi, mais je ne sais pas si ça peut convenir à Melted Space… Mes idées sortent vraiment du cadre metal, et je ne sais pas encore ce que je vais en faire.
En plus de tout cela, j’ai un petit scoop : l’ingé-son d’un de mes groupes me propose depuis très longtemps de faire de la musique électronique. Au départ, je lui ai confié mes doutes, n’étant pas un spécialiste du domaine, même si j’en ai écouté il y a très longtemps. J’ai composé un premier titre dans ce sens-là… On va faire un test pour voir si la collaboration fonctionne. J’ai également l’équivalent d’un EP de compos’ de côté. En un mot, j’ai plusieurs pistes pour élargir mon univers musical personnel. Certaines choses sont peut-être uniquement là pour me vider la tête et ne vont pas forcément sortir.
Ça t’arrive donc de composer des choses qui ne sont pas destinées à voir le jour ?
Oui, et de plus en plus, surtout dans la mesure où Melted Space est assez orienté musicalement. Ça me fait du bien d’avoir une idée, de la mettre en place dans mon home studio, d’obtenir quelque chose qui tient la route et de me dire : « Ça existe, c’est sorti de ma tête, je le mets de côté dans un disque dur, et peut-être que je le réutiliserai plus tard ». C’est d’ailleurs arrivé alors que j’enregistrais le dernier Melted Space. J’avais à ma disposition un superbe piano à queue, qui me permettait de l’exploiter un peu tous les jours, et deux idées pensées à ce moment-là ont été réutilisées un an et demi plus tard sous une forme complètement remaniée !
Pour terminer, peux-tu me dire comment on en arrive à jouer au Hellfest, à l’heure où le festival est devenu une telle machine ?
C’est davantage Max qui s’en est occupé. Embryonic Cells est son groupe exclusif, et il gère donc cet aspect-là du groupe. Encore une fois, par rapport à Melted Space, c’est hyper reposant ! (Rires !) J’ai juste à me concentrer sur mes parties claviers, c’est tout. Ce que je sais, c’est qu’on était déjà en discussion pour participer au fest, mais c’est la sortie de l’album qui a été le déclencheur.
Merci à Roger Wessier de Replica.