Pierre le Pape, adepte du virtuel et virtuose de l'onirique
Près de six ans se sont écoulés depuis notre dernier échange avec le compositeur troyen Pierre le Pape. À l'époque, nous le rencontrions à l'occasion de la sortie de l'album Horizon par Embryonic Cells, groupe pour lequel il assurait les claviers, et il venait tout juste de rejoindre Seth au même poste. On abordait aussi son projet Melted Space, qui a accueilli de grands noms de la scène metal, tels de Mikael Stanne (Dark Tranquillity), Jeff Scott Soto ou encore Mariangela Demurtas (ex-Tristania) et Kobi Farhi (Orphaned Land). Aujourd'hui, bien que le "rock opera" soit en sommeil, Pierre ne chôme pas et sort sous son propre nom un tout nouvel EP instrumental : "Dreams of Video Games". Retrouvailles avec ce musicien jamais à court de ressources.
Notre dernière interview dans le cadre de tes activités musicales remonte à 2019. Que s’est-il passé depuis ?
Pierre le Pape – Cela semble très loin… C’est l’année où je suis rentré dans Seth. Depuis, on a sorti un live et deux albums ! (Rires) Il est vrai qu’en 2019, j’avais déjà quitté Embryonic Cells quand j'ai intégré Seth : très vite, les agendas des deux groupes se sont chevauchés, donc il a fallu faire un choix. Embryonic Cells avait de grosses contraintes géographiques, alors que la logistique de Seth était hyper bien rôdée. Très honnêtement, je ne regrette pas mon choix, vu la trajectoire que le groupe a pris depuis.
En parallèle, j’ai développé ma carrière de compositeur à l’image. J’ai beaucoup composé dans le cadre de commandes pour différents clients, que ce soit pour le parc d’attraction Nigloland à Troyes, un feu d'artifice, des musées, un jeu vidéo, ou autre. J’ai été très prolifique, mais dans un cadre bien précis.
Si je devais résumer ce qui s’est passé depuis 2019, je dirais que j’ai appris plein de nouvelles facettes de mon métier. Les contraintes sont propres à chaque projet, donc c’est hyper enrichissant. Moi qui aime que mes semaines ne se ressemblent pas, c’est gagné !
As-tu trouvé ces clients via ton réseau ou sont-ils venus te chercher directement ?
C’est essentiellement les gens qui sont venus me chercher. J’ai eu l’occasion de travailler pour la Cité du Vitrail à Troyes, ou encore la Maison de l’Outil. Ce sont des commandes généralement importantes. Pour la Cité du Vitrail, il a fallu composer l’équivalent d’un album en trois mois ! Pendant ce temps, je n’ai rien eu le temps de faire d’autre, à part Seth.
Comment parviens-tu à composer sur commande et avec une deadline aussi courte ?
Je mets simplement ma casquette de prestataire de service, comme n’importe quel artisan qui aurait été démarché. Souvent, les gens font appel à moi sur des projets où il y a une vraie patte artistique qui est demandée. Comme il existe tout un tas de bibliothèques de musique libre de droits, les gens qui font de la vidéo ne s’embarrassent pas nécessairement des énormes frais supplémentaires qu’engendre un compositeur. Donc quand on fait appel à moi, c’est qu’il y a une volonté véritable d’amener du sur-mesure. 99 % du temps, ce sont des clients pour lesquels je n’ai pas vraiment besoin de me forcer.
Pour la Cité du Vitrail, il a fallu illustrer des églises et vitraux. Au départ, je leur avais fait un morceau-test très cliché, avec de la viole de gambe, des chœurs et de l’orgue. Ils m’ont dit : « Surtout pas ! ». Ils souhaitaient dépoussiérer complètement le sujet et le moderniser, donc ils m’ont donné carte blanche. Je me suis retrouvé à leur proposer des morceaux d’électro ou de metal ! Avec cette collaboration, il y a clairement eu un avant et un après dans ma manière de composer.
Plus tôt, tu parlais d'une collaboration pour un jeu vidéo. As-tu provoqué cette rencontre-là ?
Oui. En 2020, c'est moi qui ai démarché des studios. Étant moi-même un gros gamer, j’ai eu envie de tenter ma chance. Je suis tombé sur une équipe qui développait un jeu à l’univers très dark - ce qui deviendrait Otherside. Le directeur artistique savait très bien ce que je faisais avant avec Melted Space et Seth. On s’est aussi découvert une culture commune au niveau des jeux : lui aussi est fan de Castlevania, God of War ou encore Dark Souls. Pour me tester, ils m’ont demandé de composer deux fois trente secondes, juste à partir d’une image. Apparemment, ça a suffisamment convaincu ! C’était une super expérience. Cela m’a ramené à ce que je faisais dans Melted Space, puisque pour le générique de fin, j’ai dû réunir différents musiciens connus et ils m’en ont largement donné les moyens.
Dans le jeu vidéo en général, il y a une grosse culture de la musique et de la plu-value qu’elle peut apporter. Ce sont des gens avec qui il n’y a pas besoin de négocier grand-chose, tant que ça leur paraît cohérent et intéressant. Le jeu vidéo réunit tout un tas de corps de métier différents qui n’ont parfois aucun rapport. On sent qu’on n’est qu’un rouage dans la grande horlogerie, et où seul le directeur artistique aura une vision d’ensemble.
Tu as aussi sorti l’EP A Night in Paris cette année.
En effet! Initialement, A Night in Paris est un « one shot » qui a une drôle d’histoire : je suivais la page d’un film de fan qui parlait d’un superhéros tout en noir à Gotham City… (Rires) Je leur ai demandé s’ils avaient besoin de quelqu’un pour composer la musique. Le projet n’a pas abouti et du jour au lendemain, je n’ai plus eu de nouvelles, sans savoir pourquoi. Mais j'ai conservé la musique sur un disque dur pendant 4 ans environ, jusqu’à ce qu’un ami à moi me fasse remarquer que c’était dommage de ne rien en faire. Ça a été la première pierre d’une nouvelle facette de moi hors Melted Space et hors Seth. C’est très typé Batman, mais ça a permis déjà à l’époque de tester d’autres choses.
On en arrive à Dreams of Video Games : cette fois, tu sors vraiment du contenu original qui n’a pas été composé pour quelque chose d’autre.
C’est ça. Je me suis réveillé un jour en me disant que ça faisait longtemps que je n’avais rien sorti. Le dernier morceau, « Hero’s Farewell », avait été écrit dans le but de faire un nouveau Melted Space. Pour tout dire, une histoire est écrite depuis le COVID pour un album entier. Je l’ai laissée dans un coin parce qu’à l’époque, je ne me sentais pas trop de m’y remettre. Après, il y a eu le décès de Guillaume (Bideau, chanteur décédé en 2022, ndlr), qui m’a clairement flanqué par terre… C’est un album dans lequel il devait reprendre le rôle qu’il incarne dans The Great Lie (2015). J’avais quand même cette mélodie qui me revenait sans cesse. Je l’ai donc retravaillé intégralement après avoir pris du recul. Je l’ai mis à la couleur des trois autres pour que cela soit cohérent. Sur Dreams of Video Games, il y a des sons beaucoup plus saturés et une façon de construire différente par rapport à Melted Space.
Le titre « Dark Pink City » est réellement à part : c’est le seul morceau qui soit véritablement empreint de synthwave et d’electro. S’agit-il d’un hommage à la pop culture des années 1980 ?
Il m’a surtout été inspiré par un rêve où j’étais dans une ville étrange hypermoderne, un peu à la Blade Runner. C’est en testant différents sons que j’en suis arrivé à « Dark Pink City ».
Une des nouveautés depuis 2019 est la création de ma chaîne Youtube, et je viens justement de terminer une vidéo où je désosse « Dark Pink City » pour expliquer comment j’en suis arrivé là (la vidéo est disponible ci-dessous, ndlr).
Ce qui m’importait au départ, c’était le gros riff de basse et les sons saturés que j’utilise massivement depuis le COVID. À l’époque, il y avait du matos en promotion chez les différents constructeurs, ce qui m’a permis de faire mes emplettes à droite à gauche et de jouer avec les banques de son.
En m’apercevant de ce côté rétro, je me suis dit : « Ah quand même ! On s’y verrait bien là. » (Rires) J’ai donc rajouté ce qu’il fallait. À partir du moment où il y a eu une rythmique électro claire, ça a été l’évidence.
L’EP est vraiment un mélange de tout ce que je suis et tout ce que j’aime depuis des années. Mais je te rejoins dans l’idée qu’il s’agisse d’un hommage à la pop culture : c’est davantage « Archangel’s Fire » qui constitue un hommage à un passage en particulier de Dragon Ball Z. En plus de cela, au début du morceau, je joue du ood car à l’époque de la composition, j’étais à fond à Assassin’s Creed ! (Rires)
Vas-tu continuer à sortir ta musique sous forme d’EP à l’avenir ?
On va déjà voir comment celui-là est accueilli. J’aurais déjà de quoi sortir trois EP de plus. Ces dernières années, je me suis beaucoup entraîné à créer à la demande. Et du coup, j’ai aussi créé juste pour moi. Dès que j’avais une idée, je l’enregistrais, la mettais dans un coin ou en faisais quelque chose… J’ai même envisagé de produire un album solo où j’aurais chanté ! Depuis, j’ai appris à utiliser une basse, une guitare et d’autres instruments. J’ai les envies créatives qui vont avec. Mais j’ai peu de temps : par exemple, me remettre à faire du Melted Space serait très chronophage.
Avec mon agenda actuel, le format EP est idéal pour publier de la musique au moins une fois par an.