Personne n’osera prétendre le contraire : LEPROUS fait partie de ces groupes ayant su le mieux s’adapter à la crise sanitaire, et ce depuis le mois de mars 2020. En proposant du contenu qualitatif et original, ils sont parvenus à faire vivre une actualité dormante et à rendre leur communauté de fans plus soudée, et plus déterminée à les soutenir. En parallèle, la formation en a profité pour finir leur septième album, « Aphelion », disponible dès aujourd’hui. Si l’annulation des tournées n’aura en rien affaibli nos musiciens, on a cependant hâte de les retrouver pour de vrai à l’automne prochain à l’occasion d’une tournée européenne revenant sur l’intégralité de leur discographie… Ca promet !
Le mois dernier, nous avons eu l’opportunité d’aborder le nouvel album, mais aussi les nombreux livestreams, avec Tor Oddmund, très sympathique guitariste et co-fondateur du groupe.
Dans le communiqué officiel d’ « Aphelion », vous dites que l’album est plus intuitif que ses prédécesseurs. Mais qu’est-ce qui a changé concrètement par rapport à votre façon habituelle de composer ?
Tor – Pour la plupart des titres, nous sommes partis d’une idée basique avant de nous rendre directement en studio et de les développer sur place. Avant cela, on apportait nos compos’ quasiment terminées avant de les enregistrer, sans vraiment collaborer au préalable. Cette fois, nous avons travaillé ensemble sur les différentes couches.
En tant que guitariste, je trouve qu’ « Aphelion » est quand même plus facile à reproduire en live ! Les compos’ et les accords sont plus naturels à interpréter, ça fait plus sens…
Il y a même un solo de guitare assez traditionnel sur The Shadow Side, ce qui se fait de plus en plus rare chez LEPROUS…
Même si on n’a rien contre les solos, on préfère n’en mettre que si cela s’y prête bien, le but n’étant pas de faire du fan service. Finalement, sur ce morceau, cela faisait sens, et on est plutôt contents du résultat ! En plus, Robin Ognedal (guitares, NDLR) est un très bon soliste, et je suis soulagé que ce soit lui qui s’y colle : moi, ce n’est pas mon fort… (Rires)
Un titre comme All The Moments démarre sur des sonorités plutôt « rock » et positives, encore une chose peu commune chez vous !
C’est drôle que tu parles de « rock », car pendant longtemps, on l’a appelé « le morceau grunge » ! Bien sûr, il prend une tournure différente en cours de route, mais c’est quand même fou de se dire que le mélange de nous tous donne du grunge… (Rires)
All The Moments est le premier morceau pour lequel rien n’était prévu, et où tout a été fait sur place, en studio. La production de l’album a commencé à partir de quatre morceaux qui nous restaient au moment de la compo de « Pitfalls » (2019), parmi lesquels On Hold. Ils n’ont pas fini sur cet album, mais on savait qu’on allait les sortir sous forme d’EP à un moment donné.
On a commencé par remanier ce qui deviendrait The Shadow Side, qui possédait déjà de super parties de batterie. Suite à quoi, on a écrit Castaway Angels, qu’on a bouclé en une heure seulement ! C’est là que j’ai compris qu’on partait sur une dynamique beaucoup plus spontanée. D’ailleurs, le clip de Castaway donne un net aperçu de la façon dont nous avons procédé pour « Aphelion ».
Du coup, quitte à se retrouver en studio, on a décidé de prolonger notre séjour pour écrire, et c’est comme ça qu’on s’est résolus à faire un album au lieu d’un EP.
La suite de All The Moments est néanmoins plus progressive, et s’achève sur une nette montée en puissance, sans qu’il y ait de fin réelle. Bien que cela ne soit pas une mauvaise chose, je n’ai pas pu m’empêcher de penser : « Il manquerait presque un dénouement », comme si ces titres étaient finalement restés à l’état de démos…
Je comprends ! C’est un peu ce qui s’est passé avec Castaway Angels. On n’était pas du tout partis pour composer, et même si on a rajouté quelques éléments plus tard, une fois que le morceau était fait, on l’a laissé tel quel, sans essayer de le rendre plus complexe.
Quand tu travailles seul chez toi, tu peux passer des heures à bosser, à te focaliser sur les moindres petits détails, à tout remettre en question… Au contraire, quand tu travailles en groupe, tu débriefes beaucoup plus rapidement, et tu as un retour direct sur ce qui va et ce qui ne va pas. Sans pour autant bâcler notre travail, cela nous a aussi permis de passer plus vite à la suite.
À nos débuts, le mot d’ordre était d’inclure à tout prix chaque petite idée dans un morceau. Désormais, si quelque chose ne fonctionne pas, on préfère le garder de côté et en faire autre chose.
Robin, Tor, Baard, Einar & Simen
Un élément marquant à la première écoute d’ « Aphelion » : le retour des grunts, qui apparaissent sur la fin de Nighttime Disguise, et qui va à coup sûr plaire aux fans !
En fait, en janvier dernier, nous avons fait un livestream assez spécial : les gens ont eu la possibilité de nous voir travailler en studio 24H/24H pendant six jours, en plus de participer à la composition d’un titre via un sondage. Ils pouvaient ainsi voter pour le type de chant, la dynamique du morceau… Par exemple, ils nous ont imposé d’inclure du chant très grave, mais aussi des screams. Et je dois dire que l’endroit où ils sont placés est devenu l’un de mes passages préférés de l’album ! Les fans ont vraiment bien su assembler les différentes pièces du puzzle. (Rires)
Que retires-tu de cette expérience ?
C’était vraiment intense, mais aussi très intéressant de se laisser porter toute une semaine par les décisions des fans. Même si tout est parti d’une idée de Robin vingt minutes avant le début du stream, il est clair que cette chanson n’aurait jamais existé sans les fans, même si ça reste clairement du LEPROUS.
Cette expérience s’est avéré concluante, mais je doute qu’on reproduise ce genre de chose à l’avenir. C’est beaucoup de temps et d’argent investis pour juste une chanson… Mais c’était le moment d’innover et de sortir du contexte habituel.
En parlant des livestreams, vous vous êtes attaché à proposer régulièrement du contenu en ligne depuis le début de la pandémie. Était-ce important pour vous de ne surtout pas disparaître et de tirer votre épingle du jeu, alors que les tournées avaient toutes été annulées ?
Le jour même où la Norvège a été confinée, il était prévu qu’on prenne l’avion pour Stockholm afin de boucler les parties guitares sur deux morceaux de l’EP. On avait tout juste commencé à tourner pour « Pitfalls », et le plan, c’était de tourner dans le monde entier… Très vite, on a discuté de nos options, l’une d’entre elles étant de proposer des livestreams avant même que les autres groupes ne se lancent là-dedans. Bien sûr, il y avait déjà quelques groupes qui faisaient des lives sur Facebook, de manière très informelle. Mais on voulait proposer quelque chose qui tienne la route, tout en restant intéressants aux yeux des fans.
Ce qu’il faut savoir, c’est que LEPROUS est pratiquement notre seule source de revenus. Il était donc vital pour nous de réfléchir à une alternative. D’habitude, je suis très content que le groupe ait une renommée internationale. Mais cette dernière année et demi, cela nous aurait bien aidé de pouvoir jouer en Norvège même et de bénéficier d’une aide de la part de notre gouvernement, ce qui n’a pas été le cas.
Le premier concert en ligne était donc une sorte de test, avec une setlist proche de celle de la tournée. On a aussi joué deux concerts en Norvège l’été dernier devant une audience à jauge limitée. Mais après cela, on savait qu’on n’allait pas simplement réitérer les livestreams, on savait qu’on allait perdre le public en cours de route. On a donc eu l’idée de faire un nouveau concert, mais où la setlist serait votée par les spectateurs.
Ensuite, alors qu’on enregistrait Running Low et Out Of Here, on a aussi eu l’idée de jouer tous les anciens albums. On a passé une journée entière à enregistrer « The Congregation » (2015) pour le diffuser quelques semaines après. Mais même s’il a bien été enregistré dans des conditions « live », les gens nous ont reproché qu’il ne s’agisse pas d’un vrai direct ! (Rires) Je comprends qu’ils auraient préféré regarder quelque chose en train de se dérouler en temps réel et être témoin de nos prises de parole spontanées, et où rien n’est édité… Mais pour « The Congregation », il y a une partie où deux batteries se superposent, ce qui aurait été impossible à reproduire en live, à moins d’engager un deuxième batteur… (Rires)
Malgré tout, on est revenu à la formule de base. Pour ce faire, nous avons pris contact avec la plateforme de stream Munin.live, qui démarrait à peine, tout d’abord pour un double concert avec Ihsahn, avant de centrer nos setlists sur les anciens albums, de « Bilateral » (2011) à « Pitfalls » (2019).
Ces livestreams ont très bien marché, et c’est là que j’ai vu à quel point nos fans étaient fidèles et forment une vraie communauté. Même si on ne fait pas nécessairement attention aux critiques, on est très à l’écoute de ce que les fans nous disent, et on apprécie leur intérêt.
As-tu le sentiment d’avoir redécouvert votre audience norvégienne ces derniers temps ?
Tout à fait ! A un moment donné, à cause de la distanciation physique, on n’a pu jouer que devant 20 personnes, et des gens venus d’autres parties de la Norvège ont donc assisté aux concerts. Mais ce qui est étrange, c’est que j’ai l’impression de m’être encore plus rapproché des fans durant cette période, sans même les voir en vrai (Rires). J’ai d’autant plus hâte de les rencontrer quand les concerts reprendront. Je suis heureux qu’on ait réussi à renforcer nos liens durant cette période !
Photos : Elena Sihida