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Deux semaines seulement après le Prognosis à Eindhoven (Pays-Bas), où LEPROUS avait donné le meilleur show du festival, nous avons eu une nouvelle opportunité d’assister à un de leurs concerts, cette fois, sur le sol français ! C’est en effet à l’occasion du Heart Sound Metal Fest, près de Paris, que le groupe allait se produire en compagnie de six autres groupes pour une journée inoubliable.
Fait intéressant : ces deux performances avaient chacune leur particularité : si, au Prognosis, LEPROUS nous offrait l’intégralité de leur album « The Congregation » (2015) en live, au Heart Sound, nous allions avoir droit à un concert dit « shuffle », ou encore « en aléatoire ». En effet, la setlist allait être piochée titre par titre dans un chapeau au dernier moment !
A quelques heures du concert, c’est un échange très sincère que nous avons eu avec Einar Solberg sur divers sujets…!
Vous vous sentez prêts pour le « shuffle show » de ce soir ?
Einar – Oui, même si rien ne marchait, ce matin… On a eu pas mal de soucis techniques, c’était horrible ! Mais ça ira, car il s’agit de morceaux qu’on connait vraiment bien. On en a sélectionné presque 40, et la plupart apparaissent régulièrement dans nos setlists.
Le vrai défi n’aurait-il pas été d’inclure toute votre discographie dans le chapeau ?
Ca aurait été une perte de temps colossale, surtout en plein enregistrement du nouvel album… Il aurait été impossible de tout répéter. Et puis, il y a trop de morceaux auxquels je n’arrive plus à m’identifier !
Quels morceaux, par exemple ?
La majeure partie de « Tall Poppy Syndrome » (2009), même si on en a mis quelques unes dans notre sélection, mais j’espère qu’on ne les piochera pas ! (Rires) Je pense que je ne me sens plus très proche des albums avant « Coal » (2013), et encore, même cet album me semble lointain, maintenant…
A cause des paroles ?
Pas du tout ! C’est plutôt le fait que les morceaux partent dans tous les sens et reflètent une atmosphère confuse… Je préfère quand la musique se focalise sur une chose à la fois, quand c’est plus serein. Si on doit composer un passage grandiose, j’aurais tendance à y aller petit à petit, de manière graduelle.
The Congregation
C’est d’ailleurs un peu ce qui se passe sur « The Congregation »…
En fait, ces temps-ci, j’ai tendance à plus m’identifier à « Coal » qu’à « The Congregation », qui est un album extrêmement calculé. De nouveaux membres nous avaient rejoints au moment de l’écriture, et je pense que nous n’étions pas encore prêts à nous laisser aller. C’est à la fois ce que j’aime et ce que je n’aime pas, sur cet album ! C’est aussi de loin l’album le plus technique, bien plus encore que « Bilateral » (2011), en dépit de ce que certains peuvent penser.
C’est juste qu’il sonne un peu trop rigide, par moments… J’ai vraiment tendance à préférer un son plus souple et plus fluide, et pas si anguleux !
Au Prognosis, j’avais une vue imprenable sur Baard, et c’est là que je me suis vraiment rendue compte à quel point la technique était aiguisée sur « The Congregation ». Au contraire, son jeu de batterie sur des titres extraits de « Malina » (2017) comme Stuck et From The Flame, avait l’air d’être une promenade de santé, pour lui !
Ce qui est drôle, c’est que les titres que tu cites ont peut-être l’air d’une promenade de santé, mais la vérité, c’est que plus tu gagnes en expérience, mieux tu parviendras à camoufler la difficulté à jouer un titre : From The Flame est en réalité extrêmement complexe. C’est juste que Baard donne l’impression qu’il est facile !
Comme je le disais, « The Congregation » est bien plus rigide et prog’, mais dans un sens que je n’apprécie pas du tout. Tu vas impressionner ton monde, mais ce n’est vraiment pas ce que j’essaie d’accomplir avec la musique. Je veux voir les gens pleurer ou sourire, même si, certes, on ne donne pas vraiment l’occasion aux gens de sourire avec notre musique ! (Rires) En un mot, ils doivent ressentir quelque chose. C’est bien plus important pour moi que de tomber dans la démonstration pure et simple… La technique n’est qu’un paramètre parmi tant d’autres, et ce n’est clairement pas le plus important. Je suis capable d’apprécier de la musique qui n’en comporte aucune, tout comme je peux détester des titres très complexes.
Finalement, les morceaux de « The Congregation » qu’on aime continuer de jouer sont souvent dans nos setlists, comme The Flood, ou The Price… (Rires) Même si, pour cette dernière, on n’a pas vraiment le choix dans la mesure où c’est le titre le plus réclamé par le public après From The Flame.
Baard Kolstad au Prognosis 2019
Pourquoi n’avoir jamais joué Within My Fence avant le Prognosis ?
Moi, je demanderais plutôt pourquoi elle est sur l’album tout court ! Je l’aime bien, mais pour moi, il y a trop de chansons dans cet album. Je pense qu’on aurait pu en virer une ou deux.
Avec le concert au Prognosis, nous nous sommes rendus compte que tous les tubes qui fonctionnent vraiment bien en live ou en studio sont ceux de la première partie de l’album ! La deuxième partie est bien plus excentrique… Pendant le concert, on a senti qu’il y avait beaucoup d’énergie durant les premières minutes. Ensuite, c’est devenu étrange à partir de Red... (Rires)
C’est pourquoi on voulait terminer sur une valeur sûre avec Stuck et From The Flame, extraits de « Malina ». Si au moins le set avait terminé sur Rewind ou The Price, ça l’aurait fait, mais ça faisait trop bizarre de terminer le concert avec Lower…
Avez-vous songé à changer l’ordre des morceaux ?
Non, simplement parce que je pense qu’on se devait de jouer l’album tel qu’il est. C’était le principe.
Quand je suis allé voir MASSIVE ATTACK jouer l’intégralité « Mezzanine » (1998), quelle ne fut pas ma déception ! Je me suis rendu compte que seuls trois ou quatre morceaux rendaient cet album si excellent. Finalement, les morceaux que j’aimais extraits d’autres albums me manquaient ! (Rires) C’est vraiment un mix de toute leur discographie qui me plait, et je pense que c’était le cas pour le public aussi.
En définitive, je préfère quand les meilleurs morceaux de chaque album sont réunis. Après tout, un bon album ne fera pas nécessairement une bonne setlist de concert. Je suis content qu’on l’ait fait, mais j’espère qu’on ne le refera pas de sitôt…
Einar au Prognosis 2019
Tall Poppy Syndrome (2009)
En guise de Poisson d’Avril 2019, un festival a publié sur sa page Facebook une fausse affiche de rêve où il était indiqué que vous joueriez « Tall Poppy Syndrome » dans son intégralité… N’est-ce pas quelque chose que vous envisageriez pour tous les fans qui espèrent que cela arrive un jour ?
Tu sais, le nombre d’écoutes sur les plateformes de streaming est vraiment insignifiant ! L’album est adoré par un petit nombre de fans, mais c’est tout. Ca n’aurait aucun sens de jouer « Tall Poppy Syndrome » en entier : on aurait l’impression de faire semblant sur scène, et ça n’aurait rien d’authentique. J’admets son potentiel, mais franchement, il y a des morceaux que je trouve affreux au niveau de la composition ! (Rires) « Bilateral » est davantage apprécié par le public, à en juger le nombre d’écoutes sur Internet…
bilateral
Donc jouer « Bilateral » en live serait une possibilité ?
On joue déjà pas mal de titres de cet album régulièrement, surtout Acquired Taste et MB Indifferentia, qui s’accordent assez bien avec notre répertoire. Il y a également Forced Entry, même si on a l’impression de la jouer uniquement pour placer LE morceau prog’… La façon dont il a été construit nous parait si lointaine, maintenant.
Attention, nous respectons toujours nos anciens albums, et je comprends sincèrement que les gens les apprécient. C’était d’ailleurs mon cas avant… Mais dorénavant, je pense qu’une chanson doit être une chanson, et pas cinq ! (Rires)
Le nouvel album sera-t-il dans la continuité de « Malina », ou aurons-nous une fois de plus quelque chose de différent ?
Ca sera relativement différent de « Malina » dans l’approche. Mais nos plus vieux fans n’en seront pas contents… A vrai dire, ceux qui n’ont pas aimé « Malina » vont détester le nouvel album !
En un sens, c’est un album bien plus réservé, même s’il est très varié au niveau des émotions. Ce que je veux dire, c’est qu’il n’y aura pas uniquement de la mélancolie, comme sur le reste de notre répertoire (Rires) Il y a des passages plus lumineux, même si la plupart des paroles ont été écrites dans un état d’esprit assez sombre… C’est un album qui m’est très personnel. J’y parle de mes propres luttes, une fois n’est pas coutume.
Si le nouvel album pouvait ne pas être uniquement composé de morceaux aussi tristes que The Last Milestone, ça serait parfait ! Malgré tout le respect que je dois à cette chanson…
C’est clairement la chanson la plus triste que j’aie écrite. En fait, je dirais que « Malina » est généralement plus mélancolique que le nouvel album.
J’imagine déjà les commentaires sur Youtube, du genre : « C’est quoi cette pop de merde ? »… D’ailleurs, ça m’a toujours fait rire que les gens emploient le terme « pop » comme une insulte, alors que certains de mes artistes favoris sont des artistes pop : il n’y a qu’à voir l’œuvre de Michael Jackson, qui est beaucoup plus avancée que celle des groupes de prog’… Chanter comme lui, danser comme lui, produire un tel spectacle… Personne ne peut reproduire ça ! Même dans mes rêves les plus fous, je ne pourrais jamais imaginer faire quelque chose de similaire.
Parfois, j’ai l’impression qu’on se bat contre nos propres fans… Ils veulent que l’on soit ce qu’on n’est pas. Mais à ce stade, tout le monde devrait avoir compris qu’on ne fera jamais de deuxième « Bilateral », ou de deuxième « Coal »…
Einar en studio cette année pour le successeur de « Malina »… (photo : Facebook)
Pendant un temps, tu as donné des cours de chant durant les tournées. Pourquoi avoir arrêté ?
Il y a plusieurs raisons à cela : pour commencer, je ne suis pas doué pour enseigner aux débutants. Je n’ai aucune patience, et je ne sais pas comment expliquer aux gens de travailler plus. Je suis trop courtois pour ça ! Souvent, les personnes qui s’inscrivent n’ont jamais chanté une note de leur vie et veulent uniquement passer du temps avec moi… C’est épuisant. Si encore j’étais sûr d’enseigner à des gens qui veulent se perfectionner, ça pourrait aller. Je suis un mauvais enseignant pour les gens qui ne sont pas à fond dedans.
Et la dernière raison, c’était que ça prenait beaucoup trop de temps. J’ai besoin de prendre du temps pour moi pendant les tournées et faire de l’exercice, en dehors des tâches qui incombent aux concerts. Il est crucial pour moi de rester en bonne santé physiquement et mentalement.
Quel est le défaut qui t’insupporte chez les journalistes ?
Ce qui m’ennuie le plus, c’est quand il n’y a pas de vraie conversation, que je déblatère sans m’arrêter, ou bien lorsque je n’ai à répondre que par « oui » ou par « non » avant de passer à la question suivante…
La plupart des journalistes sont respectueux. Je n’ai pas vraiment eu à me plaindre à ce niveau. Une fois, je suis tombé sur un journaliste qui ne parlait pas un mot d’anglais… C’était très gênant, autant pour lui que pour moi !
Après tant d’années à tourner, est-ce que tu ressens toujours quelque chose lorsque les gens t’acclament ?
Pas vraiment. J’imagine que la plupart des musiciens issus de cette scène recherchent toujours une certaine forme d’attention de la part du public. Clairement, si on n’aimait pas être sur scène à jouer pour une audience, on n’aurait pas choisi ce métier !
En revanche, plus le temps passe, plus nous gagnons en notoriété, et plus je suis blasé et je perds cette excitation… Je crois que je m’y suis un peu trop habitué. Mais c’est pareil pour tout : une fois que tu obtiens ce que tu souhaitais, tu ne parviens plus à l’apprécier autant. C’est un défaut purement humain, et c’est assez systématique…
Mais j’y travaille ! Aujourd’hui, j’essaie vraiment de profiter du moment présent. Parfois, ça fonctionne, comme en Amérique Latine, où les concerts dépassent tout ce qu’on a pu voir jusqu’à présent ! Ils deviennent fous sur les passages mouvementés, et, au contraire, incroyablement silencieux et respectueux sur les moments qui le requièrent. En plus, ils tapent des mains en rythme ! (Rires) C’est exceptionnel.
Leprous juste après leur concert au Heart Sound Metal Fest 2019 (photo : Facebook)
Photo principale : Clément.
Photos du Prognosis : Emilie Garcin.
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Un grand merci à Pauline Candelot et Claire « Petitpoète » !