Rencontre avec Charlotte Wessels pour la sortie de The Obsession
Depuis 2020, l'essor de Charlotte Wessels a été plus qu'impressionnant : avec l'ouverture de son Patreon, qui a réuni une communauté de fans solide, puis son départ du groupe de metal symphonique Delain, la chanteuse a évolué de façon remarquable. La sortie de ses premiers albums solo Tales from Six Feet Under Vol. I & II en 2020 et 2021 démontre autant ses talents artistiques que sa capacité à avancer de manière complètement indépendante. Aujourd'hui, Charlotte revient à ses premiers amours en formant son propre groupe et en réalisant son premier album de metal symphonique The Obsession, qui sortira le 20 septembre prochain. Nous avons souhaité aborder avec l'artiste aux multiples facettes ce parcours admirable. À savourer sans plus attendre !
Peux-tu revenir sur les raisons qui t’ont menée à créer ton Patreon en 2020 ?
Charlotte Wessels - Une part de moi souhaitait expérimenter de nouveaux sons. Avec Delain, j’ai passé 16 ans à évoluer dans le metal symphonique. Certaines des idées que j’ai pu avoir durant cette période n'étaient pas adaptées au groupe. Le but de mon Patreon était donc de partager tout ce qui ne collait pas à Delain et de faire exister ces idées au lieu de les laisser prendre la poussière sur un disque dur !
J’avais toujours enregistré les parties de chant chez moi avec Delain, mais je n’avais encore jamais pris part à la production des albums. C’était la première fois que je m’y essayais. J'ai fait avec les moyens du bord : un clavier MIDI et quelques plug-in ! Ce sont donc les circonstances qui m’ont menée à explorer d’autres styles. On sent déjà cette influence sur le Vol. II parce que je n’avais plus à réserver les sonorités metal sympho' pour Delain, suite à notre séparation.
Après ces petites expérimentations, j'ai de nouveau eu envie de produire un album de façon plus traditionnelle, et plus cohérent. Cela ne se limitait plus à publier les morceaux écrits chaque mois. Ce n’est pas que je dénigre mes premiers albums, mais ce sont davantage des compilations que des albums à part entière.
Suite à quoi, je me suis posé la question : "Quel style me rend heureuse ?" Et c’est comme ça que j'en suis venue à réécrire des titres plus lourds !
Considères-tu Tales from Six Feet Under Vol. I & II comme de simples essais, et The Obsession comme ton vrai premier album ?
Les deux premiers font réellement partie de ma discographie, même s’ils sont très expérimentaux. J'y reste très attachée et ils m'ont notamment permis d'apprivoiser tout le côté technique. Je me suis entraînée de façon très publique ! (Rires) The Obsession n'aurait pas été ce qu'il est sans ses prédécesseurs ou si je n’avais pas lancé la "chanson du mois".
L'une des raisons qui m'ont encouragée à sortir ces compilations, c'est que je ne voulais pas réserver ma musique uniquement à ceux qui en ont les moyens. C’est pourquoi j’ai sélectionné mes morceaux préférés et que je les ai rendus disponibles à tous sur les plateformes de streaming.
As-tu perfectionné tes compétences techniques de manière autonome ?
Chaque collaboration m'a apporté quelque chose, que ce soit avec Delain ou en dehors du groupe. J’ai observé les gens travailler, je leur ai posé des questions. En 2020, le contexte et le temps dont je disposais m'ont fait beaucoup avancer. On va dire que j’ai appris par tâtonnements ! J’ai regardé des tutos… À ce jour, je suis loin de tout connaître. Je souhaite vraiment m’améliorer pour gagner en autonomie.
Qu’est-ce que tu aimerais apprendre ?
Principalement, le design sonore. J'ai aussi envie de mieux maîtriser les instruments en eux-mêmes. Actuellement, je dépends beaucoup de plug-in, même si le fait de collaborer avec le groupe facilite les choses pour avoir le son de vrais instruments.
En quoi était-ce différent d’enregistrer The Obsession comparé aux albums précédents, hormis le fait qu’il y ait maintenant un vrai groupe avec toi ?
Pour The Obsession, les morceaux sont également sortis mensuellement sur Patreon. J’avais besoin de conserver cette façon de procéder, je ne me voyais pas créer un autre album en parallèle. La différence, c’est que cette fois, il ne s’agissait pas de la version finale. Dès que j'ai eu assez de titres pour constituer un album, je me suis mise à travailler en compagnie des autres membres. On les a écoutés ensemble, j’ai recueilli leurs réactions. Bien sûr, j’avais déjà les retours des Patrons, ce qui est très pratique.
Timo Somers (guitariste, ndlr) a remanié les guitares synthétiques pour les rendre bien plus imposantes ! C’était super. Il m’a aussi bien aidée à préparer les morceaux avant les enregistrements.
C’est à ce moment-là que tous les membres ont mis la main à la patte. Chacun d'entre nous étions présents dès l’enregistrement de la batterie. Bien que chaque instrument ait été enregistré séparément, tous les autres étaient là pour l’accompagner. Dans ce style, j’ai l’impression que chaque son doit être placé de manière très précise, presque mécanique, mais on a essayé de conserver la spontanéité et le côté organique.
Sophia (Vernikov, pianiste, ndlr) a enregistré l’orgue et le piano à queue aux Studios Sandlane avec Joost van den Broek (producteur, ndlr). C’est d’ailleurs ce dernier qui me l’avait recommandée, donc c’était une manière de boucler la boucle.
Je me dois aussi de mentionner Vikram Shankar : il a fait des merveilles en terme d'orchestrations et d'arrangements. C’était la première fois que je travaillais avec lui. Au début, je ne lui ai envoyé que quelques fichiers sur lesquels travailler, mais j’ai tellement aimé son travail qu’il a fini par tout réarranger.
J'ai tendance à être très pointilleuse. Je considère un morceau dans son ensemble, mais en tant que chanteuse, j’apporte toujours beaucoup d’attention aux arrangements vocaux. Sur The Obsession, on sent vraiment que chaque élément a été réfléchi dans le moindre détail ! Cela fait toute la différence.
Peux-tu parler de ton expérience avec le gospel sur « Praise » ?
Dès la première version, il y avait déjà cette identité-là. Rien que le mot « Praise » (qui peut se traduire par "éloge ou "louange", ndlr) colle très bien au champ sémantique du gospel. Ce sont les choristes du G-Roots qui ont accepté de m’aider et nous avons enregistré les voix dans leur studio. C’était une super expérience, surtout les improvisations à la fin qui me donnent systématiquement la chair de poule ! Ce sont d’incroyables chanteurs.
Tu as fait appel à Simone Simons (chanteuse d'Epica, ndlr) et Alissa White-Gluz (chanteuse d'Arch Enemy, ndlr), avec qui tu as déjà collaboré de nombreuses fois par le passé. Savais-tu que tu travaillerais avec elles avant même que les morceaux soient prévus pour l’album ?
D'une certaine manière, elles sont liées aux morceaux sur lesquels elles apparaissent. « Dopamine » revient sur l'apathie que j'ai ressentie quand j'étais sous sertraline, une substance qu’on trouve dans certains anti-dépresseurs. La première fois que je me suis confiée à ce sujet dans une interview, Simone m’a écrit pour me proposer qu'on en discute ensemble. C’est comme ça qu’on s'est liées d'amitié avant de collaborer à plusieurs reprises.
La première version de « Dopamine » sur Patreon était très différente : elle se limitait à la voix et la harpe. Simone en était très fan. Je me suis dit que si ce morceau devait apparaître sur l’album, ce serait génial qu’on en fasse un duo, dans la mesure où le thème du morceau se réfère à ce qui nous a fait nous rapprocher.
Alissa et moi nous sommes rencontrées en 2013. Elle est apparue sur les titres « Tragedy of the Commons » et « Hands of Gold » de Delain. Après cela, on a travaillé ensemble sur Lizzie, notre projet créé pendant la pandémie et inspiré du poète Elizabeth Siddal. En janvier dernier, nous avons sorti « Fool’s Parade », cette fois inspiré par un poème d’Oscar Wilde. Le thème de la poésie est récurrent ! Les paroles de « Ode to the West Wind » sont les seules que je n’ai pas écrites car elles reprennent le poème par Percy Shelley (du même nom). J’ai pensé qu’une nouvelle collaboration avec elle ferait une belle continuité. Je pouvais déjà visualiser où son chant interviendrait.
C’est intéressant que « Dopamine » parle des effets secondaires d’un médicament car je pensais qu’il s’agissait d’une métaphore pour la scène et que tu y abordais le fait qu’elle te manquait.
C’est une jolie interprétation. Quand j’écris mes paroles, et en particulier lorsqu’elles parlent de quelque chose de très précis, j’aime faire en sorte qu’elles puissent être interprétées de différentes manières. Une autre personne a pensé que je parlais d’une relation toxique. Mais j’aime beaucoup la tienne et je vois tout à fait ce qui, dans les paroles, t'évoque cela. En général, quand mes textes abordent un sujet très précis, je le dis. Mais j’aime aussi personnifier le sujet en question afin qu’il puisse être compris différemment.
Est-ce une manière pour toi de te distancer des sujets assez lourds ?
Pas vraiment. Si c’était le cas, je n’en parlerais pas aussi ouvertement. Le but de mes paroles, pour celles qui en ont un, est d’aller à l’encontre des tabous. Mais j’aime cette ambiguïté.
Quelle est la raison qui t’a poussé à réenregistrer « Soft Revolution » qui apparait dans ton album TFSFU Vol. I ?
C'était vraiment une volonté de ma part. Je n’ai rien à dire sur la version originale, c’est même sûrement ma chanson préférée des deux premiers albums réunis. Quand on l’a jouée en live, quelque chose s’est produit : elle en a été transformée. En plus, le solo de Timo fait toujours pleurer tout le monde ! J’avais envie de capturer cette alchimie et cette magie dans un enregistrement auquel tout le monde aurait accès.
Les orchestrations sont également bien plus dramatiques que sur la version 2020.
On doit encore cela à Vikram. Souvent, quand on travaille en studio, on est très concentrés et on a donc tendance à se détacher émotionnellement. Quelques temps après, quand j’ai reçu le premier mix avec le refrain final qui contient les orchestrations et le piano à queue, j’ai pleuré comme un bébé !
Nous parlions plus tôt du duo avec Simone sur « Dopamine ». Vous en avez fait un clip très coloré et travaillé et qui se distingue vraiment des deux autres vidéos. De plus, il contraste avec le thème sérieux que le morceau aborde. À quel point t’es-tu investie dans ce clip ? Comment crée-t-on un clip avec autant d’accessoires et d’idées originales ?
Les vidéos de « The Exorcism » et « Chasing Sunsets » ont été réalisées par Tim Tronckoe et Claire Stuart. Je travaille aussi avec VideoInk : ça a été le cas pour « Afkicken » qui était un projet énorme. En général, je brainstorme avec moi-même sur ce que je veux comme résultat. Je contacte ensuite la personne qui, selon moi, sera la plus emballée par le projet et dont le style correspondra le mieux !
Pour « Dopamine », on a eu beaucoup de chance. Je savais que je voulais un énorme shot de dopamine : il me fallait pleurer sur un gâteau d’anniversaire, être entourée de couleurs pastel et de plein de choses joyeuses, tout en restant dans une approche mélancolique. Le décor s'avère être un lieu où je m’étais rendue quelques années auparavant : il s’agit de WondR Experience à Amsterdam. On pourrait presque penser qu'il s'agit d'un musée Instagram ! Tu peux te balader dans les décors et prendre des photos… C’est un peu cucul la praline mais c’était exactement ce qu’il me fallait. Je les ai contactés pour savoir si nous pouvions y tourner après la fermeture et ils ont accepté.
Souvent, le décor doit être monté de toutes pièces. Ça a été le cas pour « The Exorcism » et « Chasing Sunsets ». J’avais un décorateur qui s'est chargé de peindre les rideaux et de disposer les arbres morts. Mais pour « Dopamine », le décor était déjà en place et nous n’avions qu’à faire parler notre créativité pour rendre le tout cool et dynamique.
J’aime beaucoup m’impliquer dans les vidéos et les visuels. J’élabore des « mood boards » pour chaque chanson avant la version finale. Cela m’aide à visualiser leur identité. Pour cet album, j’ai même fait tout un exposé sur le feeling que je voulais. Souvent, je passe par Pinterest. Pour les morceaux que je me voyais bien sortir en singles, j’ai fait des petits collages de photos et de textures.
Au début, j'avais envoyé tout ça à Vikram pour qu'il comprenne ce que j'envisageais pour les orchestrations. Mais il visait tellement juste à chaque fois qu’à la fin, je lui ai laissé carte blanche !
Qu’est-ce qui est le plus difficile quand on joue dans un clip ?
Cela dépend vraiment de ce que je dois faire, ce que je porte. Pour une raison que j’ignore, la plupart des clips sont inconfortables ! Tu n’as qu’une hâte : c’est de te changer le plus vite possible. Le corset noir que je porte dans « The Exorcism » me sciait les omoplates. À la fin, j’avais la chair à vif… Et puis, il fait toujours super froid, on se retrouve toujours dans une rivière ou je ne sais quoi. Le plus dur, c’est donc d’exprimer des émotions et de faire comme si on se sentait très bien alors que c’est tout l’inverse.
Celui qui cochait toutes les cases, c’était le clip de « Masters of Destiny », de Delain. On est allés en Islande et on a tourné dans ce lieu super touristique. On mourait de froid, ma robe était trop serrée et je devais performer comme si de rien n’était pendant que les touristes me fixaient hors champ !
Je pense que « Dopamine » était l’un des plus confortables à réaliser. On n'a fait que s'amuser dans une piscine à boules et j’ai pu manger du gâteau, donc ce n’était pas si mal.
Tu sembles avoir développé une passion pour les perruques très longues depuis le tournage du clip de « Sirens », un morceau d’Epica dans lequel tu apparais.
Il y a deux ans, je me suis rasé la tête et je me suis alors mise à porter des perruques. Auparavant, j'avais tendance à penser que pour avoir un look spécifique, je devais me teindre les cheveux, mais en faisant l’expérience des perruques, je me suis dit que je n’y étais plus obligée : je n’avais qu’à acheter la perruque qui convienne au visuel de tel clip. Cela permet de ne pas abîmer ta propre chevelure. Je m’y suis donc habituée mais je dois avouer que j'ai craqué et aujourd’hui, j’ai des extensions collées à mes propres cheveux et ça me démange…
C'était à l'occasion de votre concert à l'Huntenpop il y a 4 jours, non ?
Exactement ! J’étais à deux doigts de mettre une perruque mais j’avais peur de la catapulter au loin… Ce n’est pas tellement l’ambiance !
Justement, comment s’est déroulé ce premier concert ?
C’était génial. C’était notre premier festival. L'Huntenpop est très mainstream et très "hollandais". À un moment, je me suis demandé si des gens allaient venir à notre concert… Heureusement, ça a été le cas ! Je pense aussi que beaucoup de festivaliers ne nous connaissaient pas, mais ce n’est pas plus mal car ce nouvel album me permet de refaire les présentations avec l'audience. On a eu quelques soucis techniques donc je ne pourrais pas dire que ce soit mon meilleur concert. Mais dans l’ensemble, j’ai trouvé ça incroyable d’être de nouveau sur scène, dans un festival et en compagnie du groupe.
Les nouveaux morceaux passent-ils bien en live ?
Oh oui, complètement ! Bien plus que les anciens. Le groupe en particulier se sentait mieux. Sur les concerts précédents, les membres n’avaient encore jamais interprété les titres et il fallait les adapter pour la scène. Certaines compos' n’ont malheureusement jamais vu le jour en live parce qu’elles contiennent trop de synthés. Pour les nouveaux morceaux, c’est complètement différent puisqu'ils ont été pensés pour le live. Chaque membre se les était donc déjà appropriés, en plus de participer aux enregistrements.
Cet automne, vous allez tourner en Europe en compagnie de Vola. As-tu de l’appréhension à l'idée de repartir en tournée après tant d’années ?
Un peu. C’est une longue tournée et elle se termine par dix concerts d’affilée… La dernière fois que je suis partie en tournée, c’était il y a 5 ans. Je ne vais pas en rajeunissant ! Mais je suis plus enthousiasmée que stressée. Je pense que les habitudes reviendront vite. J'imagine que c'est comme remonter sur son vélo.
J’ai hâte de jouer ces morceaux et d’ouvrir pour Vola car je suis extrêmement fan de leur musique. J’avais vu passer l’affiche de leur tournée mais il n’y avait aucune première partie annoncée. Je les ai donc contactés directement et me suis manifestée. (Rires) Je suis ravie que cela ait marché.
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Charlotte Wessels se produira au Petit Bain à Paris le 21 novembre 2024.