Certains fans ont reproché au groupe d’avoir diffusé le concert en différé plutôt que de le jouer en direct, là où, depuis 2020, tant de groupes s’y sont risqués afin de trahir le moins possible l’expérience concert. Mais l’aboutissement d’un projet aussi considérable impliquait forcément divers décors, effets spéciaux et costumes, faisant de cette « release party » une production audiovisuelle des plus uniques qui requérait un enregistrement en amont.
Les différentes cinématiques présentant les cinq actes sont d’ailleurs là pour nous le rappeler, et c’est de cette façon que le concert commence, tandis que retentit l’introduction Alpha – Anteludium. Une petite fille s’éveille et se retrouve dans un monde étrange et labyrinthique, et chaque cinématique illustrera l’exploration de cet univers, entièrement créé en 3D.
Mise en scène oblige, l’entrée des membres un à un est remplacée par de gros plans sur leurs visages ombragés, avant que démarre le premier single d’ « Omega », Abyss Of Time. Nous avons alors tout le loisir d’apprécier l’immense production que nous a concocté EPICA : scène grandiose, lumières et son d’une qualité irréprochable, multitude de danseurs, soupçon de théâtralité (alors que Simone Simons, dans la pénombre, brandit de façon solennelle un crâne lumineux, ou encore des torches crachant des étincelles sur Unchain Utopia), et surtout, réalisation et cadrage au summum de la perfection. Bref, tout est mis en œuvre pour exhausser les saveurs de cet événement, où rien n’est laissé au hasard.
Par la suite, le show ne cesse de nous dévoiler du spectaculaire : outre ses innombrables danseurs et acrobates, ses énormes structures métalliques en forme de serpents cracheurs de feu, sans oublier tous les effets pyrotechniques qu’il vous serait possible d’imaginer, nous bénéficions aussi d’un chœur d’enfants pour l’excellent The Skeleton Key qui semble apparaître de nulle part, pour un effet fantomatique des plus intenses ! Plus tard, on voit le groupe se faire arroser par une pluie diluvienne à la fin de Victims Of Contingency, dans le cadre de l’Acte II – Magnituda, partie concentrée sur les morceaux heavy de la discographie d’EPICA.
Et quelle ne fut pas notre stupeur lorsque Coen Janssen, sur Kingdom Of Heaven Part III, quitte prestement ses claviers en fond de scène pour s’installer devant un piano en feu et jouer tel un virtuose ! Ces moments épiques n’auraient tout simplement jamais pu être mis en place dans le cadre d’un vrai live, et il aurait été dommage de s’en passer.
On est moins convaincus par la chute dans le vide de Simone sur The Obsessive Devotion, dans la mesure où elle n’accomplit pas tellement l’effet dramatique recherché ! Mais on peut leur reconnaître leur constante volonté d’exécuter l’impossible et de chercher à sortir des sentiers battus. En revanche, le morceau en lui-même est bienvenu et, une fois n’est pas coutume, donne l’occasion à Mark Jansen de se positionner au centre de la scène pour tout le final.
On approuve également les variantes dans les scènes et les décors. Pour l’Acte III – Elysia, EPICA a eu la brillante idée de jouer à la suite Kingdom Of Heaven I et III, deux pièces qui font partie des plus longues, des plus progressives – et des meilleures de leur discographie. On a alors l’impression de se retrouver dans un temple des temps modernes, où les panneaux décoratifs évoquent des colonnes, tandis qu’un grand lustre scintillant surplombe une allée centrale illuminée par des néons. La réalisation met ici l’accent sur les lignes verticales, magnifie l’intégralité de l’espace scénique et, par la même occasion, les deux morceaux qui nous remplissent d’émotions.
Au contraire, l’Acte IV – Gravita, aime à souligner l’aspect intimiste de la musique : le champ de la caméra se réduit alors, et l’intégralité de l’Acte est enregistrée en prise de vue aérienne, et sans la moindre coupure ! Sur la douce ballade Rivers, un chœur a capella vient soutenir le chant lead de Simone, filmée de très près et sous toutes les coutures dans sa belle robe crème orangée. On enchaîne de façon fluide avec Once Upon A Nightmare, qui prend aux tripes dès les premières notes grâce au duo formé par Coen au piano à queue et Isaac Delahaye à la guitare, avant que la chanteuse se retrouve encerclée d’une ligne de feu et des cinq autres membres. Ce plan à 360°, et l’Acte tout entier, constituent assurément le moment le plus audacieux du concert.
Capture d’écran sur Rivers (source : inconnue)
On constate en outre une Simone vocalement parfaite, et même si on n’est pas à l’abri d’un polissage du son en post-production, on ne peut nier que la chanteuse donne tout ce qu’elle a et parvient comme toujours à nous enchanter. Même sa gestuelle s’éloigne de ce à quoi elle nous a habitués en tournée, tandis que ses danses et mouvements ne font qu’un avec la musique.
Comme son nom l’indique, le dernier Acte, Alpha – Omega, fait le lien entre le début et la fin, mais oppose également deux compos’ très catchy à deux autres résolument longues et austères. C’est sans surprise que démarre le fatidique Cry For The Moon, où l’on apprécie une série d’archives vidéos sur les vocalises d’intro, éveillant la nostalgie chez les vieux fans que nous sommes (coucou, Simone à 19 ans !).
On a beau l’avoir beaucoup trop entendu, ici, il s’apprécie tout à fait. Cela est peut-être dû au fait que sur l’interlude, habituellement animée par les interactions avec le public, la chanteuse s’adresse pour la seule et unique fois à la caméra afin d’exprimer sa gratitude, tout en évoquant avec émotion la naissance de ce titre il y a presque 20 ans de cela. C’est à ce moment-là que la caméra se permet une promenade hors-champ et se focalise sur l’équipe technique, dont le réalisateur Jens de Vos.
Dans cet Acte final, Freedom, single efficace extrait d’ « Omega », marque surtout les esprits à cause de la troupe de danseuses en fond qui exécutent une chorégraphie très moderne – choix artistique surprenant étant donné l’identité plutôt traditionnelle du groupe, mais pourquoi pas !
Très friand de ce titre, EPICA opte pour le sautillant Beyond The Matrix, avant qu’ « Omega Alive » s’achève sur le superbe Omega, pour un bouquet final digne de ce nom : à notre grand contentement, le chœur d’enfants est de retour pour soutenir aussi bien visuellement que musicalement la puissance du chant lyrique et l’orchestration emphatique, pendant que des performers aériens évoluent sur un cerceau en forme d’infini.
Né de la crise sanitaire et des restrictions qu’elle a entraînées, « Omega Alive » réalise l’irréalisable. Même si les interactions entres les membres ne sont pas aussi nombreuses qu’en live (on appréciera néanmoins les fameux dos-à-dos de Simone et Mark sur The Obsessive Devotion, ou encore l’excellent duel claviers / guitare entre Isaac et Coen sur Kingdom III), on sent que le groupe vit chaque seconde avec enthousiasme, bien loin du pilote automatique qui les guide lors des tournées, et qu’il se réjouit de ce grand retour sur scène.
Et si on perd les échanges dynamiques avec le public et les caractéristiques « joies du direct », on gagne en dimension dramatique et en diversité d’ambiance et de visuel.
De la setlist concoctée avec équilibre à la réalisation époustouflante en passant par l’intensité de nombreux passages et l’espace savamment étudié, EPICA s’est tout simplement donné pour nous livrer une expérience immersive et originale, et on se surprend à espérer qu’une telle œuvre soit bientôt immortalisée en Bluray / DVD. Personnellement, deux visionnages ne nous ont pas suffi…