C’est depuis le mois de juin 2016 que nous attendions cette soirée. Huit mois plus tard, inutile de préciser que notre engouement était à son comble. Au programme : deux formations définies par un metal complexe, progressif, parfois difficile d’accès… En somme, des sonorités idéales pour préparer les nombreuses oreilles attentives à la tête d’affiche : le grand maître Devin Townsend lui-même !
Devenue une admiratrice inconditionnelle de LEPROUS il y a moins d’un an de cela, c’était avec impatience que j’attendais de voir le groupe en action. Bien sûr, les trente-cinq minutes de leur set passent à une allure folle. Le groupe, acclamé dès leur apparition, s’approprie la scène sur une musique atmosphérique sombre, avant que retentisse Foe, seul titre issu de « Coal » (2013). S’il propose un tempo cognant, en plus d’un refrain transcendant, la composition a l’avantage de révéler dès les premières secondes la puissance et la beauté de la voix d’Einar Solberg, également claviériste et compositeur principal du groupe. Qui prétendra être resté de marbre à l’écoute de ce charismatique personnage, en particulier ceux qui découvrent à peine les Norvégiens ce soir ? Aussi, nous avons la chance de bénéficier d’un son limpide, nous permettant de savourer sa performance vocale dans les meilleures conditions.
Leprous
L’identité austère du groupe, relativement statique et peu loquace, est accentuée par une absence des spots frontaux et une bonne quantité de fumée, mettant ainsi en valeur les silhouettes des musiciens.
La setlist favorisera le dernier album, « The Congregation » (2015). The Price (qui n’est pas sans rappeler les Islandais d’AGENT FRESCO), avec sa structure simple, ses couplets minimalistes et son refrain plus explosif, est clairement taillé pour le live. Les mélodies puissantes et entêtantes de Third Law et The Flood captivent, tandis que l’on se délecte de la montée en puissance de ce fameux chef-d’œuvre intitulé Rewind… Malheureusement, les horaires de passage étant stricts, LEPROUS a dû se résoudre à tronquer les deux dernières minutes du titre, générant une frustration sans pareille chez ceux qui, comme moi, attendaient de pied ferme la fin chaotique du morceau ! Le superbe Slave achève quant à lui le set avec force et mélancolie.
Heureusement, LEPROUS devrait revenir pour une tournée en tête d’affiche d’ici la fin de l’année ! En attendant, l’excellent « Live At Rockefeller Music Hall » (2016), long de presque deux heures, et qui contient notamment la participation d’Ihsahn (sans oublier Rewind dans son intégralité !), devrait bien faire patienter les fans…
Ce sont les Américains de BETWEEN THE BURIED AND ME qui prennent la suite. Comme pour LEPROUS, c’est le talentueux chanteur/leader (Tommy G. Rogers) qui officie aux claviers sur le devant de la scène.
Malgré une prestation bourrée d’énergie et de professionnalisme, il est difficile d’appréhender leur style complexe, même en ayant écouté quelques titres au préalable.
Leur performance, qui durera quarante-cinq minutes, fait l’impasse sur les premiers albums – il faut dire que leur discographie est relativement conséquente. En dépit de quelques passages brutaux ou insolites qui retiennent quelque peu mon attention, la musique de BETWEEN THE BURIED AND ME n’en est pas moins l’une des plus inaccessibles qui m’aient été donné d’écouter. On s’incline malgré tout face à ces musiciens qui parviennent à aller aussi loin dans la déstructuration de leur son… À tester sur le long terme !
Between The Buried And Me
Tandis que les roadies s’affairent pour notre Canadien adoré et ses musiciens, on entend, en guise de musique d’attente, un medley de reprises jonchées de la voix de Devin (sûrement en train d’incarner Ziltoid, l’extraterrestre… Vous suivez ?), dont Music Of The Night, de la comédie musicale « Phantom Of The Opera » ! Vous avez dit étrange et inattendu ?
C’est Rejoice, titre lumineux issu de « Z2 » (partie « Sky Blue ») qui ouvre les hostilités. Cette fois, nous remarquons des lumières vives, en plus du son toujours optimal. De bout en bout, Devin Townsend et son groupe offrent une performance aussi vivante que variée. L’artiste semble heureux de jouer ici ce soir, à en juger les regards et sourires qu’il échange avec le public (voire même avec les agents de sécurité !), sans même mentionner le jeu de scène burlesque qui le caractérise.
Les titres joués pendant cette tournée sont pour la plupart extraits des albums du DEVIN TOWNSEND PROJECT (contrairement au concert auquel j’avais pu assister sur la tournée précédente, en mars 2015, composé de nombreux titres qui m’étaient alors inconnus). Toutefois, nous avons droit à une poignée de perles du DEVIN TOWNSEND BAND, ou encore, de la carrière solo du Canadien : ainsi, Night éblouit d’efficacité, et le sombre Suicide amène Devin à commenter : « C’est dimanche, il pleut dehors, et on parle de suicide ! Qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez nous ? »
Devin Townsend Project
C’est une belle surprise que nous fait la formation en enchaînant avec Supercrush! (de l’album très justement baptisé « Addicted ») , sur laquelle elle avait fait l’impasse ces dernières années, et qui, en plus de sa mélodie irrésistible, exploite la voix puissante de notre chanteur. Bien entendu, ce dernier n’omet pas de mimer des gestes obscènes pendant les couplets – dénotant complètement avec l’ambiance romantique du titre ! Mais cela fait bien longtemps que l’on ne prend plus la peine de s’en étonner…
Ce que Devin réclame, Devin l’obtient. Ainsi, sur le beau Where We Belong, nous taperons dans les mains à sa demande, jusqu’à ce qu’il nous lance : « Arrêtez maintenant, vous avez l’air ridicule ! ». Toujours plein d’auto-dérision, il nous avoue avoir très chaud, avant de nous informer de l’état de ses aisselles (« Juicy ! »).
Les différentes guitares de l’artiste ne passent pas inaperçues, plus particulièrement celle dont il se munit pour le décadent Planet Of The Apes : l’engin est en effet muni d’un dispositif qui permet un lâcher de fumée sur demande !
À un moment donné, Devin s’empare de la peluche à l’effigie de Ziltoid pour l’installer sur son pied de micro. Lorsque celle-ci tombe, victime des vibrations, il fait de grands signes à son roadie pour que celui-ci, alors en coulisses, la remette en place. Une fois encore, on ne proteste pas aux requêtes de notre génie fou ! Ce soir, trois morceaux extraits des albums « Ziltoid The Omniscient » et « Z2 » (partie « Dark Matters ») font honneur à l’envahisseur adepte de café : Hyperdrive (sur laquelle on ne peut s’empêcher d’entendre la voix d’Anneke Van Giersbergen, qui l’a reprise dans « Addicted! ») Ziltoid Goes Home (introduit comme « le morceau de heavy metal » ), et le majestueux March Of The Poozers.
Nous l’aurons bien compris, Devin adore communiquer, que ce soit à travers sa gestuelle ou par la parole. Nous avons même droit à des « Merci beaucoup » en français, ce qui, d’après lui, « veut dire [qu’il] le pense vraiment ».
Après Kingdom, Devin nous explique : « Maintenant, je vais faire semblant de retourner en coulisses, et vous devez me rappeler. Jouez le jeu… »
À son retour ovationné, Devin nous propose une version remaniée de Ih-Ah!, une ballade pour laquelle il se munit de sa guitare acoustique, seul sur scène. Il s’agira là d’un des moments les plus mémorables, presque comparable à un « one man show » : il parodie en effet les paroles et s’interrompt à plusieurs reprises, créant l’hilarité générale, mais aussi la concentration la plus totale dans l’audience, qui boit ses paroles et chantonne religieusement le refrain. Mention spéciale aux vocalises aiguës du génie !
Force est de constater que les trois morceaux du dernier album « Transcendence » passent bien mieux en live que sur CD, en particulier Stormbending, avec ses passages épiques et sa fin exceptionnelle. Même si le titre n’était pas indispensable, les passages orchestraux de Failure compensent son aspect morne, et on apprécie la voix puissante du chanteur ainsi que le bon solo de guitare. Quant à Higher, il ferme étonnamment bien le set. Isolés de la masse que représente l’album, ils gagnent enfin en relief.
À la fin de chaque concert, Devin a pris l’habitude de se rapprocher des premiers rangs pour exprimer sa gratitude. Le batteur Ryan Van Poederooyen n’oublie jamais d’immortaliser ces moments à l’aide de son téléphone. Le chanteur prend même la pose devant le public, chose à laquelle il s’adonne rarement !
Cette soirée est un véritable succès, avec trois groupes en pleine forme, un son et des lumières qui régalent les yeux et les oreilles, et, bien sûr, un Devin Townsend comme on l’aime : débordant d’énergie, de charme et d’humour.
SETLIST
Rejoice (« Z2 – Sky Blue », 2014)
Night (« Ocean Machine: Biomech », 1998)
Stormbending (« Transcendence », 2016)
Failure (« Transcendence », 2016)
Hyperdrive! (« Ziltoid The Omniscient », 2007)
Where We Belong (« Epicloud », 2012)
Planet of the Apes (« Deconstruction », 2011)
Ziltoid Goes Home (« Z2, Dark matters », 2014)
Suicide (« Accelerated Evolution », 2003)
Supercrush! (« Addicted », 2009)
March of the Poozers (« Z2 – Dark Matters », 2014)
Kingdom (« Physicist », 2000)
RAPPEL
Ih-Ah! (« Addicted », 2009)
Higher (« Transcendence », 2016)
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Photos : Emilie Garcin